Chaque semaine, Christophe Gallaz attrape au vol une expression ou un mot lié à l’actualité. Aujourd’hui, il s’intéresse à l’omniprésence du terme «relookage».
Or donc, tout et tout le monde fait l’objet d’un relookage compulsif et constant: les industriels, les politiciens, les présentateurs de la télé, les sites internet, les journaux par le moyen de leurs «nouvelles formules» aussi récurrentes que privées d’enjeu quant au fond, les téléphones mobiles à multicoques interchangeables, les produits alimentaires assidûment réemballés sous de nouveaux aspects, et j’en passe.
Cette industrie dit le règne absolu de l’apparence, que déterminent deux pulsions collectives. La première d’entre elles, on s’en doute, est celle qui réclame de chacun d’entre nous une présence maximalement spectaculaire au milieu de nos congénères.
Puisque nos groupes humains ne sont plus structurés par les hiérarchies bourgeoises et patriciennes classiques, ni liés par aucun comportement fraternel d’inspiration religieuse, qu’ils soient accordés, au moins, dans le cadre de cette course gigantesque au factice, au simulacre, au déguisement, à la fétichisation, au trompe-l’oeil et au mirage.
C’est ainsi que nous voyons se reconstituer aujourd’hui, sur les décombres des sociétés d’autrefois, qui s’attachaient à produire des biens matériels et intellectuels réels, des fragments de néo-tissus sociaux, ou de tissus néo- sociaux, où seul s’échange un type de savoir et d’expérience: celui de la décoration et de l’ornementation voulues comme des actes réversibles, changeants et volatils, c’est-à-dire, si possible, totalement non-signifiants.
Des artisans et des créateurs, nous avons donc passé aux créatifs, en passe d’envahir le monde et de modeler ce dernier selon leurs normes: celles d’une suffisance et d’une prétention d’autant plus illimitées qu’elles sont l’affichage de l’inanité, de l’inutile et de l’insensé – au sens littéral du mot.
La seconde pulsion qui détermine le règne présent de l’apparence est antagoniste à la première. C’est celle qui satisfait à ce paradoxe: plus nous nous exhibons, plus cette exhibition signifie que nous voulons nous dissimuler en tant que réalité sous l’artifice, et finalement ne plus être perçus sous l’abri qu’il représente.
Dans ce sens, le fantasme planétaire du look et du relookage ne désigne rien d’autre qu’une volonté collective de disparition, voire de suicide inavouable.
A pressentir le désespoir imprégnant notre époque, fût-il méthodiquement travesti grâce au système ambiant de la conquête et du ludisme consommateur, l’hypothèse a malheureusement du fond.
