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L’assassinat ciblé, en chemin vers le progrès

L’«assassinat ciblé», c’est donc l’expression par laquelle il est adéquat de qualifier, depuis l’avènement au pouvoir d’Ariel Sharon, la façon dont l’Etat d’Israël liquide les Palestiniens qu’il inscrit dans la catégorie des terroristes, des pré-terroristes, des terroristes potentiels, des présumés terroristes, des terroristes en devenir, des terroristes en filigrane, des terroristes refoulés, des terroristes en creux, des post-terroristes, des terroristes par alliance et peut-être des terroristes par filiation directe, voire indirecte, voire supposée, voire putative.

Autant que les bonnes vieilles «frappes chirurgicales» d’autrefois, quand la guerre du Golfe battait son plein (son vide aussi, d’ailleurs), la locution suscite un soupçon d’embarras dans les opinions publiques bien intentionnées. On y perçoit bien qu’elle désigne son pesant de cynisme criminel et de raison d’Etat forcément gangster, mais en même temps ces qualificatifs-là, «ciblé», «chirurgicales», sont parfaitement propres sur eux, comme on dit.

Ils évoquent un lexique technique et même médical, exactement comme l’«épuration» ethnique de récente mémoire balkanique, qui suggérait un processus de désinfection, de clarification et d’allègement. Quoi de plus sain, je vous le demande, et de plus sainement judicieux?

C’est à partir de là que l’enjeu de la formule «assassinat ciblé» devient intéressant, et même prépondérant, au point de brouiller l’évaluation morale et politique qui est souvent faite du comportement israélien actuel. D’une part, donc, comme on vient de le voir, la technique, la précision et la désinfection. Et de l’autre, tout de même, la bande de Gaza sous les missiles, les maisons systématiquement rasées, la colonisation sans fondement légal, le mépris des îlots de souveraineté locale, et finalement cinq à six fois plus de morts chez les Palestiniens qu’en face.

Que penser globalement de cela? Cela devient impossible, en l’occurrence, tant les termes de l’équation s’éloignent l’un de l’autre. Jusqu’ici la mort était obscène en soi, sale, répulsive, et contenait sa propre illégitimité. Elle est aujourd’hui synonyme de nécessité prophylactique et purement accomplie, c’est-à-dire qu’elle n’est plus pensable en tant que drame ou qu’iniquité – sauf dans les esprits encore imprégnés de préceptes moraux.

La réflexion sémantique flotte en tout cas drôlement parmi le personnel de la BBC depuis quelques jours: une note interne lui demande de bannir l’emploi du vocable «assassinat» à propos des victimes palestiniennes. Trop cru, sans doute, puisqu’il faudrait lui préférer le mot «meurtre». Encore un petit effort, Messieurs les Anglais, anciens colonisateurs au Proche-Orient, et nous saurons ce qu’il faudra comprendre derrière le terme de «solution» que vous ne manquerez pas de promouvoir.

Tiens, à propos! Il nous rappelle aussi quelque chose, celui-là.