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La tournante, des banlieues jusqu’au business

Les «tournantes» sont ces crimes dont résonnent désormais les caves d’immeubles ou les entrepôts dans les périphéries urbaines françaises et progressivement suisses: des viols collectifs ayant pour victimes une ou deux adolescentes, et pour exécutants plusieurs garçons de leur entourage – y compris leur petit ami régulier, dans plusieurs cas, dont la fonction de «loueur» a dès lors pour vocation principale de fortifier son propre rang dans la hiérarchie du groupe.

Face à pareils événements, on peut s’en tenir à l’indignation petite-bourgeoise classique, nourrie par le délire attachant la morale à la sécurité policière de type répressif, voire déplorer une fois de plus le dénuement social, intellectuel et politique qui règne à l’orée de nos mégalopoles. Il est plus intéressant de les rapporter à deux réalités, ancestrale et contemporaine, de l’histoire humaine.

D’abord, on peut déceler dans ces viols banlieusards un avatar d’une pratique ayant caractérisé toutes les formes de guerre entre les peuples au cours des siècles. C’est celle du rapt sexuel, dont les auteurs ont toujours visé deux objectifs distincts ou superposés.

D’une part, asservir les femmes pour leur faire produire des enfants et soutenir l’économie domestique; et d’autre part, comme vient de l’illustrer le conflit en ex-Yougoslavie, saboter le pouvoir génétique qui fonde la survie de l’adversaire à long terme.

Ensuite, on peut considérer les «tournantes» comme l’exacerbation primaire et brutale d’un usage qui caractérise, en version légèrement plus codifiée, tout l’univers de l’économie moderne.

Celle-ci, modelée symboliquement par tous les agissements typiques de l’état belligérant réel, est animée de façon permanente par des processus de vantardise et de rodomontade (via la publicité), d’assaut (via les comportements concurrentiels), de conquête (via les stratégies géocommerciales), d’appropriation (via les rachats) et finalement de fusion (via les holdings).

Une activité d’agression sexuée débordante, en somme, dont le harcèlement lubrique commis par les PDG sur leurs secrétaires n’est qu’une manifestation particulière.

Autrement dit, nos petits salopards de Sarcelles ou d’ailleurs n’ont rien inventé, ni même, à certains égards, fondamentalement aggravé.

A leur manière inculte, que ne dissimulent ni l’apparente neutralité de l’argent, ni la prétendue légitimité de l’enrichissement sauvage, ni les rituels de violence sacralisés sous l’égide de la patrie, ils attestent que c’est bel et bien de «tournantes» en «tournantes» que va discrètement notre monde.

Hormis la tâche prométhéenne d’enseigner aux humains quelque humanité, vous avez un remède?