C’est l’histoire d’un étudiant, Nicolas, complètement perturbé par l’arrivée d’une voisine dominatrice.
Cette histoire m’a été racontée récemment par Madame M., fidèle cliente du salon, qui la tient elle-même de sa femme de ménage, laquelle en a été le témoin indirect. Les noms et prénoms sont fictifs, évidemment. Je vous la raconte comme elle m’a été transmise.
Les parois du HLM où Nicolas habitait avec sa mère étaient très minces. Si minces que l’on entendait tout de ce qui se passait chez le voisin: tuyauterie des WC, scènes de ménage, ronflements nocturnes. Nicolas et sa mère s’en étaient accommodés. De toute manière, ils n’avaient pas les moyens de déménager. «Les boules Quiès, mon garçon, coûtent moins cher qu’un appartement!»
Elève brillant, premier de classe depuis la maternelle, Nicolas faisait la fierté de sa maman. C’était la seule consolation de cette femme usée avant l’âge qui, abandonnée par son mari alors qu’elle était enceinte de six mois, avait trimé toute sa vie pour offrir un beau destin à son fils.
Nicolas était à trois mois de sa maturité scientifique quand les voisins de gauche, un couple et leurs trois enfants, déménagèrent.
Dès le lendemain, une jeune femme s’installa dans le trois pièces-cuisine. Elle n’avait pas plus de trente ans, vivait seule et avait l’air très soigneux. Nicolas se sentit soulagé de savoir qu’elle serait moins bruyante et vulgaire que les locataires précédents.
Mais ce que Nicolas ignorait encore, c’est que Mademoiselle Bouve travaillerait chez elle, chaque après-midi et une bonne partie de la soirée. Il allait s’en rendre compte à la faveur d’une scène qui l’excita autant qu’elle le perturba.
Trois jours seulement après son installation, Nicolas entendit des chuchotements, des suppliques, des cris et des bruits de quincaillerie derrière la paroi de sa chambre.
Un homme suppliait qu’on le fouette, tandis qu’une voix de femme, Mademoiselle Bouve probablement, lui répondait: «Et prend encore ça. Tu ne mérites pas mieux. A mes pieds, chien!». L’homme gémissait sous le poids des coups mais en redemandait: «Maîtresse, maîtresse, punissez-moi encore, je ne suis même pas digne d’être votre esclave».
Une heure plus tard, Nicolas entendit la porte s’ouvrir. Il se précipita vers le judas. Un homme très élégant en costume Prince-de-Galles sortit de l’appartement d’à côté, la cinquantaine argentée, et pas seulement des tempes.
Chaque jour de la semaine, sauf le week-end, les mêmes scènes recommençaient. La plupart des clients étaient des habitués. Nicolas, élevé par une mère assez prude et lui-même peu curieux des filles, n’avait jamais imaginé que puissent exister de tels comportements.
Assez rapidement, sa curiosité teintée de dégoût céda le pas à l’addiction. Nicolas devint dépendant de ce qu’il entendait de l’autre côté de la paroi. La nuit, dans son canapé-lit, il essayait de mettre des images sur ce qui s’était passé l’après-midi. Ces images l’excitaient et l’empêchaient de dormir. Sa concentration s’affaiblit, sa motivation aussi. Les choses durèrent ainsi un mois. Puis un jour Nicolas voulut en savoir plus.
Un après-midi où Mademoiselle Bouve ne recevait pas, il sonna à sa porte. «Bonjour, je m’appelle Nicolas, je suis votre voisin.»
«Enchantée. Voulez-vous entrer boire un café?»
Nicolas ne se fit pas prier. Il découvrit un appartement tout ce qu’il y avait de plus normal, blanc, avec quelques animaux en peluche sur le canapé. Mais ni cordes, ni chaînes. L’appartement d’une femme tranquille.
«Vous cherchez quelque chose?» lui demanda-t-elle. Nicolas se mit à rougir et à bredouiller: «Non, non, je regardais. C’est joli, chez vous…»
«Ecoutez Nicolas, je ne suis pas née de la dernière pluie. Je sais que l’on entend tout d’un appartement à l’autre. Je sais que tu prépares tes examens l’après-midi et que tu entends très bien ce qui se passe chez moi. Je connais aussi parfaitement votre emploi du temps: ta mère qui regarde chaque soir Le Maillon faible, puis qui t’appelle pour manger, qui fait la vaisselle en chantant du Julio Iglesias, puis qui se remet devant la TV jusqu’à ce qu’elle s’endorme devant.»
«J’entends aussi parfois tes râles de jeune mâle, la nuit, quand ta mère dort et que tu imagines, petit vicieux frustré, ce qui se passe chez moi. Je sais que tu es venu ici pour savoir à quoi pouvait ressembler une dominatrice. Mais je te le dis tout de suite, je ne prends pas les garçons qui ont encore du lait dans les oreilles. Jamais tu pourrais te payer mes services, jeune péquenot! C’est 1’000 francs l’après-midi! Plus que toutes les chuppa-chups que tu as sucées dans ta vie!»
C’en était trop! Humilié d’avoir été traité comme un blanc-bec sans le sou, Nicolas se mit en tête de trouver la somme nécessaire. Elle le prenait de haut! Elle allait voir ce qu’elle allait voir!
Obsédé par l’idée de se venger, Nicolas devint de moins en moins assidu dans la préparation de ses examens. Lui si discret devint soudain nerveux et agressif. Souvent sa mère ne le trouvait pas à la maison quand elle rentrait de son travail. Elle s’étonna de ses retours tardifs, de ses téléphones chuchotés depuis sa chambre, de ses subites sorties en pleine nuit, de ses réponses évasives.
Son comportement avait changé. Nicolas n’était plus le gentil garçon soucieux de plaire à sa mère, le fils idéal qui saurait la venger d’un mari magouilleur, buveur, joueur et infidèle. En quelques semaines, il était devenu un adolescent insolent, secret et méfiant.
Comme le craignait sa mère, Nicolas rata sa matu malgré sa moyenne de 5.75 dans toutes les disciplines le reste de l’année. Il ne se présenta ni à l’examen de math, ni à celui de français. Il insulta, paraît-il, son prof de chimie et de biologie ainsi que l’examinateur d’allemand.
Nicolas accueillit la nouvelle de son échec avec un sourire caustique, presque méchant. Sa mère ne le comprenait plus. Ses profs s’interrogèrent sur sa métamorphose. Ses camarades de classe commencèrent à le craindre. Nicolas était devenu violent.
Dans les premiers jours du mois d’août, alors que sa mère n’était pas encore revenue du salon-lavoir, deux policiers se présentèrent à la porte de la famille F. et embarquèrent Nicolas au poste.
Plusieurs plaintes avaient été déposées contre lui pour racket, chantage, harcèlement ainsi que coups et blessures. Nicolas avait la haine mais n’opposa aucune résistance à la force de l’ordre. Plus vite ils le prendraient, moins sa voisine aurait l’occasion de mesurer ce qui se passait à côté de chez elle. En un flash, il l’imagina derrière son judas, en perruque noir et latex, jouir de sa victoire en le regardant partir entre deux gendarmes. Cette idée le crucifia.
Juste avant que ne se referme l’ascenseur, Nicolas eut le temps d’entendre derrière la porte de Mademoiselle Bouve la voix sans émotion de Laurence Boccolini lancer à un des candidats: «Vous êtes le maillon faible! Au revoir.»
