Alignés sur des kilomètres, ses pans de béton servent à protéger des tirs venus d’en face. Mais aussi à cacher une réalité que les habitants ne sauraient voir. Et encore à supporter une grossière peinture réaliste qui représente le paysage masqué.
Ces pans de béton font l’objet d’une exposition de photos à Jérusalem. Ils peuvent aussi être vu comme une longue métaphore de la situation israélienne.
Le mur de Gilo a été érigé il y a quelques mois pour faire écran aux tirs envoyés depuis Beit Jala, village voisin de Bethléem. Les tireurs palestiniens visent régulièrement Gilo depuis le début de l’intifada El Aqsa. Parce que cette urbanisation n’est pour eux rien d’autre qu’une colonie en territoire palestinien, particulièrement agressive par son architecture. Tandis que pour les Israéliens, il ne s’agit que d’un quartier juif du sud de Jérusalem.
Ces derniers jours, les journalistes y vont avec gilet pare-balle et casque, les habitants se collent au mur pour se déplacer, les rues sont désertes, la route qui longe le rempart de béton ressemble à un couloir de la mort que l’on prendrait contre quelques montées d’adrénaline: ça tire plus que jamais. Du point de vue du tireur, Gilo ressemble maintenant tout à fait à une reconstitution moderne et bon marché d’une forteresse croisée.
Depuis les quartiers résidentiels de Jérusalem, on entend, crispé, le bruit de fond de la guerre. Et plus au centre encore de la ville, downtown, les habitants peuvent admirer en toute sécurité cette fois, presque comme si de rien n’était, des photos de l’immense fresque que la municipalité a commandée à des artistes russes pour «décorer» le mur de Gilo.
C’est une commande au sens propre puisque ces artistes ne devaient rien faire d’autre que peindre ce que les autorités leur demandaient. Quelque chose de joli, de plaisant et qui représente la vue que le mur cache désormais aux habitants.
La municipalité reconnaît n’avoir pas fait appel à de «vrais» artistes car elle voulait à tout prix éviter un épanchement d’idées ou d’émotions sur ce mur. C’est ainsi qu’elle a demandé à ceux qu’elle prend pour des «yes men» d’exécuter la peinture. Les Russes obéiraient plus facilement à la commande: un joli paysage, bucolique à souhait. La Palestine comme si vous y étiez, mais… sans Arabes.
Une habitante de Gilo, archéologue au musée d’Israël, reconnaît que ce mur lui simplifie la vie. Elle avait pourtant choisi sa maison pour sa vue, aujourd’hui barrée.
Un des soucis des autorités en imaginant cette fresque était d’éviter les graffitis. Et en effet, il n’y en a que deux. On ne les voit que mieux. Le premier dit simplement «paix» avec un point d’interrogation puis d’exclamation; le second, «Arabes dehors», donne le vertige. Dehors de quoi? Du mur? De la peinture? De quelle réalité?
Les photos très grand format sont clouées directement contre la paroi d’exposition, la lumière blanchie de la pellicule mange les reliefs et accentue cette impression confuse de décor voulu réaliste qui recouvre une réalité nettement plus, disons, mordante, que cette peinture de livre pour enfant.
Pour arriver jusqu’au lieu d’exposition, nulle part indiqué, il faut traverser un immense hall, en ce moment occupé par une foire des arts ménagers. Par hasard, le vigile qui fouille les sacs à l’entrée est un enthousiaste et peut indiquer le chemin jusqu’aux photos. Le mélange de genres rend, comme si souvent ici, perplexe. En dressant bien l’oreille, on peut aussi entendre, en même temps que l’on regarde les photographies, les tirs du côté de Gilo. Mais seulement si on cherche à les entendre.
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Caroline Coutau vit et travaille au centre de Jérusalem, à deux pas de la Vieille ville. Elle achète ses oranges dans les centres commerciaux israéliens et son houmous au marche arabe.
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Une photo du mur de Gilo.