Rendus comateux par le drame du 11 septembre, les citoyens new-yorkais ont oublié qu’ils n’aimaient plus leur maire belliqueux et puritain Rudy.
A qui profitent les crises ou la peur des lendemains? Aux débrouillards en tout genre, bien sûr, à ces ingénieux qui ont imprimé à la va-vite des tours jumelles sur des T-shirts qu’ils vendent à la criée sur les trottoirs. Aux politiciens aussi, occasionnellement. Et s’il en est un parmi eux qui a tiré son épingle du jeu, c’est bien le maire de New York, que ses administrés n’appellent plus que par son prénom: Rudy. On lui avait connu des pseudonymes moins flatteurs, Rudolph Hitler notamment, quand la ville s’offusquait du scandale des brutalités policières que Rudy minimisait.
Mais les New Yorkais ont la mémoire courte. Et les réactions de Rudolph Giuliani depuis ce matin fatidique du 11 septembre ont impressionné jusqu’à ses pires ennemis politiques. Le crash du premier avion à peine annoncé qu’il s’élançait déjà vers le World Trade Center pour évaluer personnellement l’ampleur des dégâts. Au péril de sa propre vie.
Lorsque le deuxième bâtiment a été victime à son tour d’un avion-fou et que les deux tours menaçaient de s’effondrer, Rudy a dû se réfugier dans un immeuble du quartier et prendre la fuite, comme des milliers de travailleurs, de touristes et de passants dans des tunnels sous-terrain. Le seul récit de sa propre fuite lui a valu la sympathie de milliers de New-Yorkais qui se sont reconnus dans ce maire prêt à payer de sa personne dans les moments les plus durs. A des lieues d’un président qui a attendu, lui, trois jours avant de venir partager le deuil d’une ville défigurée.
Depuis, Rudy n’a cessé de s’activer. Improvisant une première conférence de presse pour appeller ses concitoyens au calme, supervisant avec l’autorité qu’on lui connaît toutes les opérations en cours, à la plus grande reconnaissance des New-Yorkais, qui se sont soudain découvert un leader à la hauteur du drame vécu.
Ils ont pu voir en direct sur leurs écrans Rudy encourager des pompiers éplorés par la perte de nombreux collègues. Rudy se rendre à des dizaines de funérailles. Rudy encore honorer une promesse faite avant le 11 septembre: accompagner à l’autel le jour de son mariage une jeune femme ayant perdu son père pompier dans un incendie. Rudy enfin faire la paix avec une certaine Hillary Clinton qu’en d’autres temps – quand elle briguait le siège de sénateur qu’il convoitait – il fustigeait pour un oui et pour un non. Mais c’était au temps d’avant le 11. Depuis, l’unité doit prévaloir.
Rudy a certainement su être l’homme de la situation. Et il ne se trouve pas un New-Yorkais pour le critiquer. Cet homme au tact souvent discutable a même su trouver les mots justes au moment adéquat pour réconforter les proches des victimes, mais aussi pour peu à peu les mettre en face d’une réalité inéluctable: à moins d’un miracle, il n’y aura plus de survivants.
Et depuis, infectés d’une amnésie communicative, les New-Yorkais se prennent à rêver de reconduire ce maire pour un troisième tour de piste, alors que la loi, qu’ils ont approuvée par deux fois par référendum, limite le mandat à deux fois quatre ans. D’abord réticent à parler politique, et cela en pleines primaires qui se sont déroulées le 25 septembre au lieu du 11, Rudy se fait plus évasif. Il ne rechignerait pas à rempiler. Même pour quelques mois, histoire d’assurer la transition.
Mais alors, rayer d’un coup les critiques qui pleuvaient depuis des années? Car si Rudy est exemplaire depuis 15 jours, il n’a pas toujours suscité les éloges. Certes, il s’enorgueillit d’avoir baissé la criminalité dans une ville jugée il y encore six ans «ingouvernable». Sa politique de «tolérance zéro», largement reprise dans plusieurs villes américaines et européennes, n’y est sans doute pas totalement étrangère, bien que de nombreux experts préfèrent mesurer la baisse spectaculaire de la criminalité dans l’ensemble du pays à l’aulne d’un boom économique sans précédent.
Les New-Yorkais ont-il oublié que Rudolph Giuliani est aussi ce maire belliqueux, aux manières fortes, prêt à justifier les abus policiers ou les limitations des libertés civiles au nom de l’ordre et de la sécurité? Ce maire faussement puritain prêt à couper les vivres des musées exposant des oeuvres «maladives» à ses yeux, soit un brin provocative et parfois osées.
Ce maire encore boudant pendant plus d’un mois les plus hautes personnalités politiques noires de la ville et de l’Etat, parce qu’elles osent dénoncer le racisme des forces de l’ordre. Ce maire enfin qui n’hésite pas à couper les budgets des écoles en période de boom économique mais qui planche par ailleurs sur des projets de stades de baseball sur les rives de l’Hudson, là où se trouvent les derniers appartements abordables de Manhattan.
Aux New-Yorkais d’apprécier. Je ne réélirais pas Giuliani si j’avais le droit de vote à New York. Non seulement parce qu’un attentat ne justifie pas la réécriture de textes de lois mûrement réfléchis et approuvés par le peuple, mais surtout parce que New York n’a pas besoin d’un maire versé dans l’autoritarisme pour aborder cette phase d’incertitudes économiques et de craintes sécuritaires. Les tendances autocratiques de Washington sont déjà suffisamment fortes en ce moment.
