LATITUDES

Ces Américaines qui prônent la soumission de la femme

Pour garder un mari, il faut toujours lui dire oui. C’est la thèse d’un livre qui connaît un succès phénoménal aux Etats.Unis. Aucun rapport avec l’Afghanistan.

L’actualité est paradoxale. Au moment même où les Etats-Unis se mettent à bombarder le régime le plus mysogyne de la planète, ils voient apparaître, sur leur propre territoire, un curieux mouvement social revendiquant la soumission de la femme.

Après des décennies de combat pour se faire respecter, les femmes américaines s’aperçoivent qu’elles n’ont pas forcément trouvé le bonheur, du moins pas sur tous les plans de leur existence. Leur mariage se termine souvent par un divorce et elles regrettent que leur vie amoureuse ne soit pas aussi réussie que leur vie professionnelle.

Une rédactrice publicitaire américaine, Laura Doyle, croit détenir la solution au malheur conjugal. Elle suggère aux femmes malheureuses de ne pas jeter leur époux à la poubelle, mais plutôt de se transformer elles-mêmes… en femmes soumises!

Dans le livre «Femmes soumises, ou comment garder son mari en disant toujours oui», Laura Doyle explique sa méthode du bonheur conjugal en quelques chapitres, dont les titres feront grincer des dents même les moins féministes d’entre nous: «Respectez votre homme en l’écoutant», «Dites adieu au mythe de l’égalité», «Travaillez la vulnérabilité», etc.

Le bonheur n’est pas dans le pré, Mesdames, il est dans l’art de l’abandon. Laura Doyle, une «control freak» avouée, n’en pouvait plus d’avoir à tout gérer dans son couple, des finances à la maintenance de l’automobile familiale, en passant par le choix des vêtements de son mari. Fatiguée, malheureuse, et en voie de divorce, elle a constaté que son mari était beaucoup plus agréable à vivre et avait davantage le sens de l’initiative quand elle cessait de lui dire que faire.

Elle aurait pu s’arrêter là et décider de respecter les différences entre elle et son partenaire de vie. Mais puisqu’elle est américaine, et qu’elle a le sens de la formule infaillible, Laura Doyle a tenté le tout pour le tout. Elle a décidé d’abandonner son sens critique à tout jamais (sauf au travail, bien sûr, productivité oblige).

Son mari gère désormais le chéquier du couple et fait lui-même son choix de vêtement. S’il décide de mettre des chaussettes rayées avec un pantalon à carreaux, elle évitera de le critiquer et lui dira: «C’est comme tu veux, mon chéri». S’il veut acheter une nouvelle voiture, elle donnera son accord, même s’ils n’en ont pas les moyens.

Pourquoi se soumettre, après nous être tant battues pour l’émancipation? Parce que, selon Laura Doyle, nous y gagnerons toutes au change. A force de ne plus recevoir de critiques, aussi constructives soient-elles, l’homme de votre vie se verra dans l’obligation d’avoir un peu plus de jugement, et de se montrer responsable de ses propres actions.

Au lieu de se sentir diminué, il sera renforcé dans sa masculinité et se mettra à prendre soin de vous, ce dont toutes les femmes rêvent, n’est-ce pas? Les rôles seront clairs et l’épouse pourra enfin se reposer.

On pourrait s’offusquer devant ses propos, pas seulement réducteurs pour les femmes, mais aussi pour les hommes – qu’elle propose de manipuler comme des enfants. Sous de bonnes intentions, Laura Doyle cache une certaine ruse. Cessez de vouloir tout contrôler, dit-elle, et ayez ainsi plus de pouvoir…

Le livre a connu un immense succès dès sa sortie aux États-Unis. L’auteure offre des séminaires sur l’abandon féminin qui sont très populaires. Des cercles de femmes se forment à travers les États-Unis pour discuter du sujet. Laura Doyle aura même sa propre émission de radio en octobre. On peut parier que la version française de son livre, récemment parue chez les Éditons Efirst, se vendra tout aussi bien. Pourquoi tant de femmes, et, on le soupçonne, tant d’hommes, se tournent donc vers un ouvrage aussi rétrograde?

Les rôles traditionnels ont fait place à une certaine confusion des genres, parfois difficile à assumer. Le couple est en crise et il a soif de modèles. Les livres de psychologie populaire s’efforcent, à grands coups de campagne de marketing, de lui en offrir quelques uns: «Les hommes viennent de mars , les femmes viennent de Vénus», «Le nouveau couple», «Les couples heureux ont leurs secrets», etc.

Malgré son aspect atrocement réducteur, le livre de Laura Doyle apporte quelques suggestions intéressantes. Elle démontre que les femmes qui cherchent à tout contrôler perdent à la fois leur respect envers leur partenaire et envers elles-mêmes. L’auteure suggère par exemple de laisser son mari organiser une soirée entière et de le laisser tout choisir, de la robe portée par son épouse jusqu’au chemin pour se rendre au restaurant, en passant par le choix des mets. Le sentiment de vulnérabilité (et de frustration!) généré par un tel exercice peut être révélateur de la puissance de ce besoin féminin de contrôle, et de l’insécurité qu’il cache, en filigrane.

Laura Doyle suggère aussi de respecter et d’honorer les différences entre les hommes et les femmes en évitant toute critique, qui risque de toute manière de finir en dispute.

Les éléments que Laura Doyle apporte sont les mêmes que ceux suggérés par la plupart des thérapeutes de couple. Mais le modèle qu’elle propose va inutilement trop loin. Même si elle précise qu’il y a certains hommes auxquels il ne faut jamais se soumettre (les violents, abusifs ou toxicomanes), la soumission à l’homme reste une solution réductrice. L’intérêt que de nombreuses Américaines lui portent est carrément inquiétant.

Dans un article sur le dernier livre de Candace Bushnell, l’auteure du populaire «Sex and the City», une journaliste américaine lance l’affirmation suivante:

«Alors que les femmes ne veulent pas dépendre des hommes en tant que groupe, la plupart d’entre elles considèrent qu’il est «sexy» d’être dépendante de l’homme qu’elles ont choisies. Elles sont féministes – sauf en ce qui a trait à leur style de vie.» Selon la journaliste, si bien des femmes américaines refusent de se marier pour l’argent, elles ne sont toujours pas à l’aise avec l’idée d’épouser un homme qui gagne moins qu’elles…

Alors que les États-Unis entrent en guerre avec des territoires où les ordering cialis online legal sont ignorés, la soumission, ou du moins, «l’abandon» de la femme américaine résonne curieusement dans l’actualité. Apparemment, l’Amérique a besoin de certitudes et de réponses claires, et c’est dans sa cellule familiale de base qu’elle viendra de plus en plus souvent se rassurer.

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Martine Pagé, journaliste, vit à Montréal. Elle est une collaboratrice régulière de Largeur.com