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Le 11 septembre a détruit leur couple

Alice Vinteuil, coiffeuse, raconte l’histoire de ce couple brisé à la suite de divergences concernant la guerre et la politique américaine.

L’atmosphère du salon a beaucoup changé ces dernières semaines. Les gens sont inquiets. Je le vois à leurs cheveux. On voit tout dans un cheveu! Leurs conversations portent sur le terrorisme, la violence aveugle, l’Afghanistan, la faillite de Swissair et maintenant l’anthrax.

L’Hebdo, Paris Match et le Nouvel Observateur ont supplanté la presse féminine dans le porte-journaux. C’est dire! Personnellement, je n’ai pas à m’en plaindre. Jamais mon entreprise n’a été aussi florissante. Les coiffeurs, paraît-il, ne connaissent pas la crise: «Parce qu’ils sont de puissants antidépresseurs», aime répéter Pauline, qui vient tous les deux jours se faire laver la tête à l’eau froide pour se «remettre les idées en place».

Il faut dire que Pauline, épouse heureuse, avocate accomplie et mère de jumelles adorables, traverse une sale période. Rien ne va plus entre elle et son mari Marc, cadre supérieur dans une entreprise d’informatique. Leur crise a commencé le 11 septembre, en même temps que s’effondraient les deux tours du World Trade Center.

Dans un premier temps, Pauline ne s’est pas inquiétée outre mesure. Il lui paraissait bien un peu étrange que Marc, d’ordinaire contempteur de la télévision, puisse rester collé pendant deux jours à son écran sans manger ni dormir, mais qui peut se vanter d’être resté de marbre devant un événement aussi sidérant?

Ce qui l’intrigua en revanche, c’était l’état quasi hypnotique de son époux devant ces images de destruction et son plaisir à les voir et revoir jusqu’à les enregistrer sur cassette. Elle attribua cette délectation morbide à sa vieille fascination pour les films de guerre. Il est vrai qu’en matière de cinéma, Pauline et Marc ne partagent pas les mêmes goûts.

Les jours qui suivirent révélèrent d’avantage leurs dissensions. Tandis que Pauline attendait des Etats-Unis une réponse politique et diplomatique, Marc appelait de ses vœux une violente riposte militaire. «Oeil pour oeil, dent pour dent!», répétait-il rageusement. Il ne supportait pas qu’elle émette la moindre réserve envers la politique extérieure américaine. «Il faut choisir son camp», disait-il.

Quand Pauline lui faisait remarquer que la violence n’avait jamais engendré que la violence, il ricanait. «Avec des théories comme les tiennes, on se fera tous enculer, à sec et sans élan!» Pauline n’avait encore jamais entendu Marc parler de manière si grossière. Les deux filles non plus, qui lui demandèrent plus tard ce que leur papa voulait dire par là.

Le 22 septembre, un événement alerta particulièrement Pauline. Son mari, d’ordinaire si calme, injuria les jumelles quand elles lui demandèrent si elles pouvaient mobiliser pendant deux heures la TV pour regarder la cassette de «La vérité si je mens». «Ce film de bougnoules? Pas question. Foutez-moi la paix avec vos conneries.»

Comment expliquer à des fillettes de onze ans que leur père est en train de péter les plombs? Et comment une femme pouvait-elle accepter que son homme se révélât tout à coup aussi brutal et injuste? Quand elle lui demanda de s’excuser auprès des jumelles, il lui rit au nez en zappant sur Al Jezira.

Pauline pensait pourtant bien le connaître, son cher Marc! Ensemble, ils avaient déjà vécu des coups durs. Ils s’en étaient toujours sortis, plus forts et plus soudés. Mais là, Pauline était désemparée. Marc ne la touchait plus, ne lui adressait même plus la parole.

Il était obsédé par la guerre et la vengeance, conspuant tout ce qui n’était pas chrétien et de race blanche. A l’entendre, seul l’Occident avait le droit d’exister sur cette planète! Bien sûr, Pauline savait que son mari avait flirté dans sa jeunesse avec un mouvement d’extrême droite, qu’il défendait des valeurs auxquelles elle n’adhérait pas et qu’il avait hésité entre une carrière économique et militaire, mais jamais à ce jour leurs différences n’avaient porté préjudice à leur couple.

Elle avait ses idées, plutôt de gauche comme le voulait la tradition familiale; il avait les siennes. Elle se souvenait bien d’une ou deux prises de bec, notamment au sujet de la guerre du Golfe et de l’adhésion de la Suisse à l’Europe, mais rien de grave.

Elle n’était pas folle non plus des blagues racistes de son mari, mais elle croyait sincèrement que c’était chez lui une forme d’humour. Et quand son père, qui n’avait jamais aimé son gendre, demandait à Pauline comment elle pouvait vivre avec un tel abruti, elle riait en accusant son père de voir des fachos partout. Pauline et Marc s’aimaient, seule cette réalité comptait.

Mais aujourd’hui qui aimait-elle? Et lui, qui aimait-il vraiment? Pauline commença sérieusement à se poser la question face à cet homme qui lui devenait de plus en plus étranger. Comment imaginer que ce va-t-en-guerre sectaire, sûr de ses privilèges et carré comme une mâchoire de Monsieur Barbie était le même qui, jeune papa, se levait chaque nuit pour s’occuper des jumelles?

Le même qui, après douze ans de vie commune, continuait de lui envoyer des fleurs chaque 7 avril – date de leur rencontre? Le même qui, au lit, était le plus raffiné et le plus imaginatif de tous les amants?

Insensiblement, et bien qu’elle s’en défendait, Pauline était en phase de désamour. Il ne lui restait que ses souvenirs pour recomposer le puzzle de l’homme idéal, tant celui qu’elle avait sous les yeux lui faisait horreur. Elle lui en voulait et s’en voulait tout autant de n’avoir rien vu venir. Elle était dégoûtée.

Au début du mois d’octobre, deux jours après la première riposte américaine, Pauline me dit qu’elle venait de quitter le domicile conjugal avec ses deux petites filles pour vivre chez ses parents. «Il me fait peur, me dit-elle, et terrifie les jumelles».

Une semaine plus tard, elle m’annonçait qu’elle venait officiellement de demander la séparation d’avec son mari. «Ce n’est pas cet homme-là que j’ai choisi d’épouser, vous comprenez. J’aime Marc mais pas cette brute épaisse qui appelle à l’incendie de la planète. Il a pété les plombs et refuse de se faire soigner. Il estime qu’il est tout à fait sain d’esprit et que ce sont les autres qui sont devenus fous! Je déteste sa vision du monde! Jamais je n’aurais imaginé qu’un couple aussi harmonieux que le nôtre puisse exploser pour des raisons de divergences politiques! Qu’est-ce que l’amour quand plus rien ne peut se partager?»