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L’Italie sur la dangereuse pente nationaliste

Profitant de la guerre, la droite musclée de Berlusconi consolide ses positions. Elle veut affirmer un certain rang de l’Italie sur la scène internationale. Et le pays suit.

Lois taillées sur mesure pour le grand chef du gouvernement. Escortes réduites pour les juges, histoire de les intimider – même si en réalité les escortes n’ont jamais empêché l’assassinat de juges vraiment dangereux. Financement par l’Etat de l’enseignement religieux dans les écoles et porte ouverte à l’intégrisme catholique militant dans les mêmes écoles. Privatisation de musées qui sont déjà hélas largement mis en coupe réglée par des mafias de fonctionnaires-trafiquants.

L’Italie est, cet automne, en train de découvrir avec un étonnement chaque jour renouvelé ce que signifie donner le pouvoir à une droite musclée s’appuyant sur les vieux fascistes revanchards de Gianfranco Fini, sur les nouveaux fascistes léghistes d’Umberto Bossi et sur les nouveaux riches affairistes de Silvio Berlusconi.

Mais, vu de loin, ce qui frappe l’observateur, c’est la rapidité avec laquelle le virus nationaliste parvient à conquérir des positions qui hier encore auraient semblé imprenables.

Un exemple: la position internationale de l’Italie.

Depuis son arrivée au pouvoir, début mai, le gouvernement Berlusconi traîne le boulet du sommet de Gênes, de la répression catastrophique des manifestations anti-mondialisation. Sa crédibilité internationale a été durablement entachée. Tant à Washington que dans les capitales européennes. Et cela d’autant plus que certains gouvernements ou hommes politiques demandaient pour l’Italie une mise en quarantaine de type autrichien.

Mis en cause pour de bonnes raisons, Berlusconi et ses amis se répandent néanmoins partout où c’est possible pour dénoncer l’injustice dont ils se disent victimes. A force de crier, ils finissent par provoquer un certain courant de sympathie, même dans l’opposition de centre-gauche qui craint un affaiblissement général du crédit politique et économique du pays au niveau international.

Après les attentats du 11 septembre et le déclenchement de la croisade bushienne contre les islamistes, Berlusconi – avec la finesse qui le caractérise – lâche ses remarques sur la prééminence séculaire de la civilisation occidentale. Là encore, après quelques huées initiales, médias et politiciens mettent une sourdine à leur holà dans l’intérêt supérieur du pays. On perçoit petit à petit, à la lecture de la presse ou en regardant les débats télévisés, qu’un pays tout entier commence à se sentir persécuté alors que seule la stupidité de son chef est en cause. Mais ce chef a été élu par une majorité de votants…

Les choses se gâtent quand la France, l’Angleterre et l’Allemagne – les trois grands européens – décident de se voir à trois pour définir les contours et les limites de leur soutien aux Américains. Ils préfigurent dans l’UE ce que nous avons connu en Suisse pendant tout le XIXe siècle et une bonne partie du XXe: la prise en compte des intérêts disparates d’une fédération par ses éléments les plus forts et dynamiques. Ce que nous avons appelé les cantons Vorort (Zurich, Berne et Vaud). Lors du premier sommet à trois, à Gand, Berlusconi qui pense comme ses compatriotes que l’Italie est un pays au moins aussi grand que les trois autres est pris de vitesse. Et reste sur le marchepied.

Mais dimanche dernier, alors que les Chirac, Blair et Schröder s’apprêtaient à commettre à nouveau un crime de lèse-Etats mineurs, l’Italie crie au scandale. D’une seule voix. Le centre-gauche se retrouve ainsi embarqué dans le douteux combat déclenché par un douteux premier ministre. Comme au même moment, Bush et le Pentagone acceptent que l’Italie participe à la guerre d’Afghanistan par l’envoi d’une escouade de parachutistes et c’est l’extase nationaliste! A quelques exceptions près (des archéo-communistes, quelques écolos), le pays unanime rend hommage à l’héroïsme de soldats pas encore partis mais prêts cependant à défendre la civilisation occidentale dans les déserts d’Asie centrale.

L’Italie peut renouer avec les chants guerriers: en moins de six mois, l’extrême droite fino-bosso-berlusconienne l’a phagocytée. Elle réapprend à marcher au pas.