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L’humiliation des check points

Ce matin, Dana, adolescente palestinienne, arrive au lycée avec un retard d’une bonne vingtaine de minutes. De sa démarche nonchalante et sexy, elle passe devant le directeur, qui lui lance: «Quand tu seras à l’université, tu ne pourras pas arriver comme ça en retard.»

Elle lui rétorque du tac au tac: «Pour y aller, il n’y aura pas de check point.» Ensuite, elle entre en classe, souveraine.

Dana vit à Ramallah et, pour parcourir les vingt kilomètres qui la séparent de Jérusalem où se trouve son lycée, elle doit, selon les jours, passer par trois, quatre ou cinq check points. Le directeur glisse derrière son passage: «C’est une fille brillante, elle va étudier dans une université américaine l’année prochaine. Elle a la chance d’avoir un passeport canadien.»

Tout Palestinien qui veut se rendre d’un village à l’autre sait qu’il va trouver sur son chemin un mahsom (barrage). Le check point fait à ce point partie de leur quotidien, détermine tellement le rythme de leur journée, mais aussi leur humeur, la réussite ou l’échec d’un rendez-vous ou d’un examen, que les Palestiniens ont préféré laisser ce mot en hébreu plutôt que d’utiliser un terme arabe. A l’image d’une entrave impossible à oublier.

Depuis septembre 2000, les check points prolifèrent. Ces barrages installés par l’armée israélienne peuvent se déplacer au gré des événements. Leur multiplication s’est encore accélérée depuis l’assassinat du ministre israélien d’extrême-droite Rehavem Zeevi le 17 octobre, puis l’attentat dimanche dernier dans un quartier de Jérusalem qui a tué deux adolescents. C’est que, du moins officiellement, Tsahal conçoit les check points comme des moyens d’empêcher les terroristes de pénétrer en Israël. Mais pour les Palestiniens, c’est une façon sûre de les épuiser, les humilier, les briser.

Sur la route entre Jérusalem et Ramallah, les taxis collectifs se contentent de faire la navette d’un barrage à l’autre, pour éviter la queue devant chaque filtre. Il faut prendre deux à quatre taxis pour parcourir la distance entre les deux villes. Les check points doivent être franchis à pied: moins de queue et un peu moins d’énervement. A midi, au barrage qui borde le camp de réfugiés de Qalandiya, les minibus de service arrivent en trombe et déchargent: s’y sont entassés femmes élégantes, nourrissons, hommes d’affaires, personnes âgées, étudiants, ouvriers, familles pleines de sacs à provisions. Tous sortent, marchent une centaine de mètres dans la poussière, passent le barrage puis reprennent la prochaine camionnette.

«Au nom de la sécurité, ils nous infligent une punition collective», résume Haled, étudiant, en train de sortir ses papiers pour les montrer au soldat en poste. Il doit crier pour couvrir les klaxons. Il n’a pas trop le temps de s’attarder, mais il lance encore: «Ma copine vit à Hébron. Pour la voir, il me faut compter cinq heures.» En temps normal, le trajet Hébron-Jérusalem prend une petite heure.

Et il y a aussi les voitures et les camions, complètement bloqués. Une ambulance tente de traverser ce chaos. Parfois, les secours peuvent être ralentis pendant plusieurs heures.

Pour l’officier de Tsahal qui prend sa pause derrière des sacs de sable, c’est un jour normal: «Maintenant, ça va. Non, il n’y a rien de spécial à signaler. C’est toujours à 15 heures que les jeunes viennent nous lancer des pierres. A la sortie de l’école je suppose. Parfois, nous les prenons à revers, et alors les cailloux peuvent arriver sur les voitures coincées dans l’embouteillage. Oui, les conducteurs leur hurlent dessus. Mais c’est tout.»

En effet. En même temps que les chebab (jeunes hommes) et Tsahal procèdent à leur bataille rangée, voitures et passants continuent leur ballet incessant. «Yes, it’s crazy », conclut l’officier parachutiste.

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Caroline Coutau vit et travaille au centre de Jérusalem, à deux pas de la Vieille ville. Elle achète ses oranges dans les centres commerciaux israéliens et son houmous au marche arabe.