L’écroulement des Twin Towers à l’intérieur de leur propre silhouette a produit un effet d’entonnoir dont le centre est Manhattan. Le système mondialisé s’y aspire désormais.
Le Forum économique de Davos déménage. Il n’aura pas lieu l’année prochaine en Suisse, mais à New York. Pourquoi? Parce que les Suisses ne se sentent pas les moyens de contenir de vives protestations, voire une attaque terroriste. Et surtout, parce que Davos est à New York.
Chacun le savait, sauf ceux qui persistent à définir la mondialisation comme un échange de services et de biens au bénéfice de la diversité régionale. La Suisse pleure donc. Mais ses regrets ne signalent qu’un réflexe d’acharnement patriotique, voisin de l’acharnement thérapeutique, et qui est fondé comme celui-ci sur des loyautés d’ordre mélodramatique: il faut bien tenter de différer la mort du corps institutionnel vieilli.
Le Forum économique de Davos n’aurait pu déménager ailleurs qu’à New York. L’écroulement des Twin Towers à l’intérieur de leur propre silhouette a produit un effet d’entonnoir dont le centre est Manhattan. Le système mondialisé s’y aspire désormais lui-même en permanence, pour s’autoremplacer dès que nécessaire, à la manière d’une nappe de tissu dont le point central serait constamment tiré vers le bas.
Tout ce que la planète industrialisée comportait de nettement distinct se précipite depuis le 11 septembre en flux continu dans le trou noir du «Ground Zero». Il y a fusion planétaire des lieux, fusion des esprits que ces lieux avaient spécifiés, donc progrès du Même. Ces dernières semaines, Tony Blair s’est moins affirmé comme le premier ministre de la Grande-Bretagne que comme le premier ambassadeur des Etats-Unis en Europe, dont les autres dirigeants importants, pour ne pas perdre leur rang dans la course, ont eux aussi rivalisé de pèlerinages en loyauté washingtonienne.
La notion d’Etat, d’où résulte celle de citoyen, traduisait en données territoriales et politiques une manière de régler partiellement les rapports du Bien et du Mal. La frontière nationale dessinait un périmètre au sein duquel on envisageait l’équation suivant des repères communs. La mondialisation selon Davos et New York a dissous ce dispositif. Le Bien et le Mal se sont eux aussi mélangés sous son effet, pour se muer en dynamique homogène d’une domination sans limites.
