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New York, un nouvel effroi

Deux mois et un jour après son amputation, la ville a vécu lundi un nouveau drame. Reportage

Je n’étais encore jamais allée à Rockaway, cette péninsule au sud de New York, dans le quartier du Queens. Parce que c’est si loin. Curieusement pourtant, j’avais projeté une halte dans le quartier prochainement, une amie musicienne de rock m’ayant dit que l’endroit était en passe de se tailler une solide réputation sur la scène rap. C’est ici, disait-elle, qu’il faut venir pour écouter les meilleurs rappeurs du moment.

Ce matin, je n’ai pas le temps de penser au club de rap, malgré mon penchant pour cette musique. Je pense surtout à la malédiction qui s’abat sur New York – ou à la poisse, c’est selon. Un avion avec 260 passagers à bord vient de s’écraser sur ce quartier résidentiel détruisant plusieurs habitations. L’info tombe sèchement. Et les images du 11 septembre qui reviennent, forcément. Comme un bis repetita, même si l’ampleur des attentats d’alors n’a rien à voir avec ce crash, qui pour l’heure n’est toujours pas considéré comme un acte délibéré, malgré des déclarations contradictoires de sources bien placées à Washington et à New York.

Et ce pesant scénario qui se répète. Le téléphone qui n’arrête pas de sonner. Les sirènes de voiture de pompiers dans toute la ville. L’alerte 1 qui est décrétée. A nouveau, ponts et tunnels vers Manhattan sont fermés. Mais on continue de nous dire qu’il ne s’agit que de précautions. Le métro, lui, fonctionne toujours. Je décide alors de faire le voyage de Rockaway. Il me faudra deux heures pour y arriver.

Dès les premièrs arrêts, les voitures du métro se remplissent de journalistes, de cameramen mais aussi de résidents se précipitant vers leur quartier pour s’assurer que leurs proches sont sains et saufs.

Sur place, je ne peux que m’étonner du calme et du professionnalisme des policiers et des pompiers. Ils en ont vu d’autres, ai-je pensé immédiatement. Et c’est ce qu’ils me diront.

«L’incendie est maîtrisé», explique K.C. Clinton, un pompier afro-américain, superbe dans son maintien, calme malgré les scènes d’horreur auquel il vient d’assister. «Je suis là pour aider les gens, c’est tout, j’évite de penser au reste», répond il quand je lui demande comment il gère tout ce stress. «Je doute qu’ils trouveront des survivants», dit-il en parlant des collègues qui ont pris la relève.

Deux heures plus tard, son confrère John Duffy, venu sur place spontanément alors qu’il était en congé, confirme : «Je n’ai sorti que des cadavres encastrés dans la carcasse de l’avion, brûlés pour la plupart, méconnaissables».

Le quartier est étrangement silencieux, malgré la centaine de secouristes arrivés très vite. Les badauds sont rares, les habitants du quartier ont soit fui l’endroit, soit se sont calfeutrés chez eux. Je rencontre Bill Nelson après m’être faufilée entre jardins et cours arrière pour m’approcher le plus près possible du site du crash. Bill a le regard perdu dans le vide. Il vit près d’ici. «Vous savez, on a eu notre dose ici, on a perdu plus de 70 personnes dans l’attentat, c’est un quartier où vivent beaucoup de pompiers et de flics, dit-il l’air absent. Samedi encore nous étions à un enterrement.»

Je ne vois que peu de choses, un cordon de pompiers se tient autour du point d’impact, à l’angle de la 129e rue. Les débris fument encore. Je vois des secouristes ramenant des brancards, tous recouverts d’une bâche en plastique noire. John ne mentait pas. Le périmètre touché est relativement restreint. Une maison a été entièrement détruite, et une petite dizaine endommagées par des débris. «Une chance encore que l’avion n’ait pas glissé au sol, il est tombé raide, d’après les témoins», me souffle une jeune policière blonde.

Autour d’elle, ses collègues s’affairent. J’observe plusieurs détectives faire du porte-à-porte pour obtenir les témoignages des habitants du quartier. Certains disent avoir entendu un bruit énorme, d’autres parlent d’une boule de feu dans le ciel, d’autres enfin détaillent comment la partie arrière de l’appareil s’est détachée la première et comment l’appareil lui-même n’est tombé qu’après, un peu plus loin. De fait, il y a deux points d’impact. Un où est tombé l’un des moteurs, l’autre l’avion lui-même.

Je décide de ne pas rester là trop longtemps. L’endroit est déprimant malgré la distance que j’arrive à mettre entre l’événement et moi. Comme le 11. Je retourne vers la station de métro et je m’attable dans un bistrot pour écrire. Il y a là beaucoup d’officiers de police, des journalistes nombreux. Une vieille dame s’étonne: «C’est drôle, un avion vient de tomber, des gens sont morts, et nous continuons à venir au café comme si de rien n’était». Elle me demande ensuite à quoi sert le casque que je porte autour du cou. Je la renseigne. Elle me remercie et s’excuse de me déranger dans mon travail.

Quand je quitte le restaurant, un jeune policier me sourit. Il m’explique qu’il venait de reprendre ses horaires normaux depuis la fin octobre. Il soupire et après une brève conversation me conjure de prendre soin de moi. Je pars en repensant à cette carte postale un rien cynique trouvée dans un vidéostore de l’East Village qui dit en noir sur fonds blanc: «Dear police officer». Je me suis demandée du coup si je pourrais un jour avoir envie d’écrire à un flic. Même après le 11. Celui-là avait l’air vraiment sympa.