TECHNOPHILE

Les hackers contre Ben Laden: l’opération vire au chaos

C’est en ordre dispersé que les pirates informatiques sont partis en guerre contre le terrorisme. Ils voulaient percer les sites d’Al-Qaeda. Ils s’emmêlent les pinceaux.

A la suite des événements du 11 septembre, plusieurs réseaux de hackers se sont constitués pour lutter contre Ben Laden et son organisation Al-Qaeda. Mais les cyber justiciers engagés dans cette guerre de l’ombre divergent sur les méthodes à employer. Leurs résultats restent modestes, voire insignifiants.

Le premier de ces groupes est celui des Dispatchers, qui affirment être parvenus à détruire des sites islamistes soupçonnés de servir de relais à des activités terroristes. Des actions entièrement justifiées à leurs yeux. Mais d’autres associations se sont déjà élevées contre leurs méthodes, craignant que cette vendetta ne s’abatte au hasard sur d’innocentes victimes du monde musulman.

C’est ce que redoute le Chaos Computer Club (CCC), célèbre organisation allemande de hackers. Ainsi le 13 septembre, au lendemain des attentats, leur porte-parole Andy Mueller-Maguhn a formellement dénoncé les méthodes des Dispatchers: «Dans la situation tendue d’aujourd’hui, il ne faut pas en arriver à couper les moyens de communication. Ce serait ouvrir un champ encore plus grand à l’incompréhension.»

Cet appel au calme semble ne pas avoir été suivi par tous les hackers. Et sur l’initiative de l’Allemand Kim Schmitz, ex-pirate reconverti, s’est créé peu après le groupe des Young Intelligent Hackers Against Terror (YIHAT). A la différence des Dispatchers, le YIHAT regrouperait uniquement des «ethical hackers», c’est-à-dire des pirates informatiques qui, tout en glanant des informations sur Ben Laden et ses transactions financières, ne sortiraient pas du cadre légal.

Kim Schmitz, qui se fait appeler Kimble et se prétend millionnaire, a aussi promis d’offrir 10 millions de dollars à toute personne susceptible de fournir des renseignements qui mèneraient à la capture du chef d’Al-Qaeda. Et pour prouver l’efficacité de ses actions, il a affirmé le mois dernier être parvenu à percer le système de protection de la Al Shamal Islamic Bank au Soudan. Un établissement soupçonné de servir de relais financier à l’organisation terroriste. Kimble prétend avoir fourni de précieux renseignements au FBI, qui a refusé de confirmer ou de démentir l’information.

D’une manière générale, le FBI et la plupart des experts informatiques expriment un certain scepticisme face à la stratégie des hackers. «Une telle conduite est illégale et est passible de 5 ans d’emprisonnement», avertit le FBI. Selon les experts, les hackers sont susceptibles de provoquer de graves atteintes à la vie privée et, pire, d’entraver le bon déroulement de l’enquête.

En l’absence de confirmations officielles, il est difficile de connaître les dommages réels occasionnés par les pirates. A l’image de Kim Schmitz, qui reste un personnage ambigu. Condamné à plusieurs mois de prison au début des années 90, il avait défrayé la chronique en prétendant avoir pénétré les systèmes informatiques de la NASA et du Pentagone, ce qui n’avait jamais vraiment été confirmé.

A ces doutes s’ajoute le fait que Kimble serait, selon le magazine financier allemand Die Teleboerse, au bord de la faillite. De plus, la réputation du YIHAT en a également pris un coup le mois dernier quand un hacker nommé Fluffy Bunny a réussi à pirater la page de garde de l’organisation de Kimble en y installant un lapin rose en peluche.

Mais ce clin d’œil ne doit pas faire oublier les enjeux réels des opérations de hacking contre Ben Laden. Le 30 septembre dernier, Richard Clarke, ancien responsable de la lutte antiterroriste à la Maison Blanche, a été nommé à la tête d’un nouveau bureau, celui de la protection des infrastructures de communication. Ce nouveau Monsieur Cybersécurité intronisé par George W. Bush a le projet de création d’un «super internet». Un réseau inviolable et inaccessible au simple internaute: une manière de se prémunir contre un hypothétique «Pearl Harbor informatique», selon ses propres termes, qui pourrait paralyser tout le pays.

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La déclaration du Chaos Computer Club.

Le site personnel de Kimble et son avis de recherche.

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Christopher Dupont, sociologue, est chercheur à l’Université de Genève. Il s’intéresse aux nouveaux mouvements sociaux.