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«La journée sans tabac me donne envie de fumer»

La non-fumeuse que je suis n’éprouve jamais la tentation d’allumer une cigarette. A une exception près: à l’occasion de la «Journée sans tabac», c’est-à-dire aujourd’hui. J’ai une envie irrésistible de provoquer ces donneurs de leçons qui agitent leurs statistiques de cancers, de maladies vasculaires, d’infarctus, d’espérance de vie ou de coût de la santé. De toute manière, leur comptabilité macabre ne dissuadera jamais les 30% de «suicidaires».

L’arsenal des mesures antitabac est révélateur. Ainsi, en Suisse on fait miroiter l’appât d’un gain de 5000 francs, alors qu’en France, Bernard Kouchner veut patcher de nicotine ses concitoyens toxicomanes. La patronne de l’OMS promet, elle, d’éradiquer ce qu’elle nomme une «épidémie silencieuse».

Et si nous marquions cette journée en donnant la parole à un chantre de la nicotine? Jacques Drillon, journaliste et écrivain, dans un très beau texte (hors-série du Nouvel Observateur, «Le bonheur mode d’emploi»), nous explique comment le bonheur peut prendre exactement et strictement la forme d’une cigarette à fumer.

Son raisonnement n’est en rien fumeux. Il part du constat que l’on ne mesure le pouvoir des choses que lorsqu’elles cessent d’être. Il observe que pour le fumeur, l’arrêt de la cigarette provoque un manque absolu. Comme autant de volutes, les arguments de Drillon s’envolent: «Vouloir fumer, c’est le Désir. Le désir de tabac n’est pas un désir de tabac: il est un désir de satisfaction du désir. Qu’on ne s’y méprenne pas: il n’est pas question de satisfaire un désir précis, comme la soif ou la faim. Le manque de tabac n’appelle pas véritablement la cigarette. Il appelle un verbe, une action, plus qu’un objet ou une matière: céder à la tentation. En sorte que la privation de tabac laisse inconsolable. Le bonheur est mort. C’est le Désir tout entier qui est inassouvi, et définitivement.»

On se méprend en espérant inciter un fumeur à abandonner sa cigarette sans donner la priorité à cette dimension du désir, sans envisager d’autres objets de substitution. Pas étonnant si l’insistance à aborder scientifiquement les dégâts du tabagisme s’avère contre-productive. On flaire par trop une recherche scientifique au service d’un «hygiéniquement correct» venu des Etats-Unis.

La fumée est un miroir du temps. D’un vice, le tabagisme est devenu maladie dans le discours alarmiste ambiant. Or, une nouvelle idéologie sanitaire s’installe, qui repose sur l’utopie d’une société sans maladie et sans risques…

Risquons donc une conclusion, que j’emprunte à Michel de Pracontal, auteur de «La guerre du tabac» (éditions Fayard): «Le rêve d’un monde sans tabac n’est pas dépourvu de beauté. Mais son air trop pur pourrait se révéler plus toxique que la fumée.»