Sixième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.
Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais stratégique des télécom. D’autre part, Max vom Pokk, conférencier invité, se retrouve au lit avec la directrice de l’hôtel. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 6.
– Chef, je t’ai fait un mél, tu cliques sur le nom du fichier attaché. Voilà le résultat, l’identité des manifestants à l’arrivée des délégations.
Le commandant Moritz repousse d’un coup de talon son fauteuil à cinq roulettes pour s’éloigner des écrans. D’un sourire complice, il remercie Ruth, son assistante, pour ses recherches.
Hier soir, onze types se sont montrés particulièrement bien informés. Ils interpellaient nommément les participants au Forum par-dessus le cordon des policiers. Ces types-là sont les leaders informels du mouvement. Le commandant Moritz a donné ordre de les identifier en priorité. Ruth a bien travaillé. Comme elle le lui propose, il positionne son curseur.
Le commandant Moritz part du principe que chacun est suspect. Au départ, il ne peut pas savoir qui est manifestant contre le Forum et qui est participant au Forum. Car parmi les participants, certains peuvent avoir des intentions délictueuses.
Les journalistes voient ça de manière trop simple. Il y aurait le dedans à protéger et le dehors. Le commandant Moritz n’aurait qu’à rendre étanche l’intérieur pour le séparer de l’extérieur. Or les journalistes sont les premiers à vouloir passer d’un côté à l’autre.
Sur onze manifestants, sept sont identifiés avec certitude. Deux sont inconnus des services de sécurité et deux autres ne sont que probablement identifiés. Les sept photos avec noms vont être mises à la disposition des chefs de secteur avec la mention leader informel. Ces sept-là travaillent comme le commandant Moritz, mais dans le but contraire. Pour eux l’ennemi, c’est le décideur mondial.
Parfois ils opèrent une fixation sur l’un de ces décideurs, comme ils le faisaient, enfants, sur une vedette de télévision. Ils fouillent sa carrière, sa vie privée, alimentant un site Internet. Une véritable névrose. Les as de la contre-enquête ne sont pas les plus violents, mais dangereux. Ils argumentent.
La liste des sept. Un Américain pour lequel le FBI a transmis un volumineux dossier inutilisable. Un Grec, inévitablement sans dossier, mais prétendument très dangereux. Trois Suisses, au dossier propre et clair avec évaluation du potentiel subversif. Un Français. Et un Japonais dont le C.V. vient d’Interpol à Lyon. Condamné pour meurtre, libéré pour bonne conduite. Bonne conduite? On verra ça à la fin du Forum.
Le commandant Moritz appelle Ruth. A propos de cette liste, elle a le même sentiment. Le seul suspect qui mérite attention est ce Mirafiori Tsutsui, né à Nagasaki en 1970. Il faudrait que les Japonais envoient directement son dossier, mais transcrit dans une langue civilisée, par exemple l’anglais.
Dans la salle de contrôle, vingt personnes travaillent pour le tour de nuit. Presque la moitié de femmes. Le commandant Moritz doit pouvoir compter sur chacun et chacune, être sûr qu’aucun membre de l’équipe ne peut se soustraire à la vraie mission, le contrôle des flux.
Tous les postes de travail sont équipés de la même manière. Quatre écrans, un clavier, un combiné téléphonique, un micro cravate. Tout doit être consigné. Les conversations sont enregistrées même en interne, chaque opération informatique sauvegardée, la moindre manipulation d’image archivée. Le commandant Moritz surveille beaucoup les autres parce qu’il est d’accord de se surveiller lui-même.
L’avantage qu’il a sur les clients du Belvédère, du Fluela ou de La Montagne Magique, c’est qu’il est incorruptible. Il aurait pu choisir les affaires, pour devenir très riche, il a préféré la morale.
Ces gens qui se prétendent importants par le seul pouvoir de leur argent essaient toujours de lui faire des cadeaux. Des vacances par ci, une fourrure à sa femme par là. Il dit non et non. Il veut qu’on soit juste, il aime que son pays soit un modèle de démocratie, pas une république bananière. Pas comme la France ou l’Allemagne.
Chez le commandant Moritz, personne n’a jamais fait sauter un PV. Celui qui le ferait sauterait avec.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» seront publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le septième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» sera publié en traduction anglaise sur le site new-yorkais Autonomedia.org.
