Il doit bien y avoir une formule magique, un jus de bave de crapaud, une couverture qui rend transparent, enfin quelque chose de bien pratique qui ferait disparaître à jamais ce morveux de Harry Potter. Qu’on me comprenne bien: au fond, je n’en veux pas personnellement à ce petit génie du balai griffé d’une cicatrice en forme d’éclair.
Au début, comme tous les parents, j’ai aimé que mes enfants l’aiment. Parce que le petit sorcier de J. K. Rowling n’est rien d’autre qu’un condensé de nos propres histoires d’enfant: Harry Potter, c’est à la fois Cendrillon (un orphelin malmené par sa famille d’accueil que le destin finit par venger), Merlin l’enchanteur (Dumbledore, le chef du collège des sorciers, est son clone contemporain) et les contes du Chat Perché (la sagesse de la maîtresse transformée en chat). C’est aussi David contre Goliath et toute la mythologie avec sa ménagerie de monstres, chiens à trois têtes, faunes et gnomes. L’humour de l’auteure, ça ne pouvait non plus leur faire de mal. Surtout, Harry Potter était un solide complice dans notre lutte pour détourner nos enfants du petit écran et du Game Boy.
Le retour à la lecture, là, c’était cinquante points assurés pour Harry Potter.
Mais sous prétexte de lecture, faut-il vraiment avaler toutes les couleuvres? Depuis bientôt six ans que ça dure (le premier tome est sorti en 1996), Harry Potter a fini par nous exaspérer et abuser de sa position. D’abord, à chaque contrariété, nos gosses nous prennent pour des Moldus. Décodage: chez Harry Potter comme dans beaucoup de contes, la société est divisée en deux catégories bien distinctes: d’un côté, le monde merveilleux des enfants peuplé de sorciers gentils, hiboux roucoulants et bébés dragons bien sûr inoffensifs. De l’autre, celui des adultes qui n’ont plus le temps de rêver mais juste celui de dire «range ta chambre» et «mange avec tes services».
Chez Harry Potter, ce sont les Moldus. C’est dur à admettre, mais voyez-vous, en six ans, tous les parents sont devenus des Moldus. Inutile de préciser que les Moldus sont les grands perdants de la morale pottérienne. C’est tout juste si on ne finit pas la journée changé en grenouille dans la cuisine. Car à force de manier la baguette, Potter a fait entrer dans la tête de nos petits qu’il suffisait de donner un bon tour de poignet à une aiguille à tricoter pour obtenir tout ce qu’on veut.
En plus, le jeune sorcier a abusé de son statut de héros littéraire pour se glisser comme les autres sur le grand écran et, plus énervant, sur un nombre impressionnant de produits dérivés, allant de l’assiette en plastique et de la brosse-à-dent électrique Harry Potter aux derniers jeux vidéo. De médiateur en faveur de la lecture, Harry est devenu un traître au service de Sony et Warner.
En plus de tous ces griefs, Potter détourne les mineurs. Je veux dire, ceux qui n’ont pas encore l’âge. Pour comprendre le meilleur de l’histoire, il faut savoir lire les romans de Mrs Rowling ou tenir deux heures et demie devant l’adaptation cinématographique de Chris Colombus qui vient de sortir à Londres et aux Etats-Unis.
Un film pas trop difficile à suivre, c’est un mot-à-mot du premier tome de la saga pottérienne (c’est écrit: «Hagrid, emmitouflé dans un gros manteau, dégivre les balais sur le terrain» et l’on voit Hagrid, emmitouflé dans un gros manteau, dégivrer les balais sur le terrain).
Bref, il faut avoir dix ans pour apprécier que le film soit exactement comme le livre. L’âge de Harry justement au moment où il entre dans son collège si typiquement british (internat dans un château, uniforme à cravate, joutes sportives, esprit de compétition exacerbé, rien n’y manque).
Mais la pottermania atteint aussi les plus petits sans qu’ils aient eu le plaisir de l’histoire. A quatre ans, votre enfant rentre de sa nursery londonienne avec des «stickers» du magicien collé sur toute la hauteur du pantalon et fier de vous apprendre que Potter se prononce «Potâ» dans sa classe anglaise. Vous vous sentez déjà devenir un Moldus. Et ce n’est pas le couple Victoria et David Beckham qui contribuera à rétablir la limite d’âge, eux qui ont emmené leur fils de deux ans et demi à la première du film à Londres. Harry Potter, ton balai de course s’emballe, c’est l’heure de rentrer.