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10. Où l’on éclaire les amours de Max et Frénésie d’un jour politique et culturel

Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. D’autre part, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités. Et pendant ce temps-là, Max, conférencier invité se retrouve au lit avec la directrice de l’hôtel, Frénésie, une jeune Noire qui veut recommencer sa vie amoureuse à zéro. Lire ici le début du récit.

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Chapitre 10.

Max parle à Frénésie d’idées qui sont dans l’air depuis longtemps, qu’il rappellera dans son exposé.

D’abord la génération de 68 a balayé quelques vieilleries qui avaient la vie longue. Il fallait liquider le travail à la chaîne, libérer les moeurs, détruire le patriarcat, ce n’est pas si mal réussi.

Puis sont venus les post-modernes, ces petits cons qui prétendent que rien n’a de sens, tout tourne en rond, l’histoire est finie, l’art n’est qu’une perpétuelle citation, le New Age la seule religion. Heureusement qu’arrive une nouvelle génération, née à Seattle et baptisée à Gênes. Elle ose un nouvel engagement, parle de politique.

– Mais toi, Max, là-dedans, tu en es où? Pourquoi es-tu dans mon hôtel ce soir? Et même dans le lit d’une post-moderne, si je t’ai bien compris.

Parce que Max n’avance jamais droit. Sa marche est celle du cavalier sur l’échiquier. Un pas de côté, deux pas en avant. Il ne se laisse jamais prendre dans la ligne de mire de l’ennemi.

– Mais tu vas coucher avec l’ennemi, Max. Cela t’arrive souvent, ce genre d’exception?

Comme elle dit ça froidement. D’un coup, il sent son sexe devenir mou. Il éprouve comme un reflux de tout l’élan qui le portait vers elle.

Il essaie de la persuader qu’elle, non, elle Frénésie ne peut pas être considérée comme une représentante du New Age. Elle est bien trop belle pour dire ça. Il caresse sa joue, pose un baiser sur son front.

Rien n’émeut davantage Max que les seins d’une femme nue couchée sur le dos, quand ils ne dépassent presque plus du buste. Plus tard, cette femme s’assiéra sur le lit, d’une manière ou d’une autre sa poitrine reprendra la forme qu’il a remarqué tout à l’heure sous le chemisier de Frénésie.

Pour le moment, les amants sont couchés, le monde est à eux, personne ne peut les déranger, à moins que l’un demande: tu te souviens? Ou alors une bête de phrase comme: qu’est-ce qu’on fera demain? Le présent de l’amour précède tous les mystères de la création. Eden ici et maintenant, deux corps allongés côte à côte, l’un sur l’autre ou, fatigués, se tenant encore par la main, par les lèvres.

Le temps se contracte, comme deux aiguilles qui tournent ensemble sur le cadran des draps d’hôtels. Rejoue-moi dans le dos la petite musique de tes doigts. Ma nuque sur ton genou, mon oreille dans ta nuque, tes cuisses devant mes yeux. Et voilà qu’on repart en voyage, que l’espace du lit sur nous se referme. L’amour, le faire, le vivre, le faire vivre pour que les seules larmes soient celles du bonheur.

– Vraiment Max, tu es capable de ne penser qu’au présent? Ce qui se passera demain matin ne te préoccupe pas? Quand ces puissants messieurs aux vestons bien boutonnés te poseront des questions pointues, ton sourire suffira?

Et Frénésie que s’imagine-t-elle ? Pourquoi après quatre ans et demi d’abstinence se trouve-t-elle dans le lit du premier venu à philosopher sur l’amour, à cacher ses caresses au milieu des mots? Une Noire dans les neiges. Est-ce vraiment sa place?

– Max, tu sais, dans le salon de mon hôtel… je dis mon hôtel mais il n’est pas plus à moi qu’à toi… dans le salon, tandis que tu me parlais, ton whisky à la main, je regardais tous ces autres hommes. J’ai eu un moment de vertige en comprenant ce qui me plaisait en toi.

Qu’est-ce que ça pouvait bien être?

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» seront publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le onzième épisode.

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.