CULTURE

Les six plus belles créatures virtuelles

Les pin-ups synthétiques sont à la mode. Elles font l’objet d’un impressionnant recueil que viennent de publier les éditions Taschen. A quand l’élection de Miss Digital?

Il n’y a pas si longtemps, les créatures virtuelles n’intéressaient que les laboratoires de recherche. Celui du professeur Nadia Thalmann à Genève s’attachait à rendre aussi souples que possible les cheveux d’une Marilyn synthétique. D’autres travaillaient sur les ridules au coin des paupières.

Il s’agissait de projets purement scientifiques: reconstituer l’apparence humaine sur ordinateur. Dans le grand public, ces recherches ne déclenchaient que bâillements.

Et puis, l’arrivée de logiciels abordables et performants comme Lightwave ou Poser a ouvert l’horizon. La création de personnages en 3D s’est démocratisée. Ce ne sont plus les chercheurs qui développent des personnages kitsch pour faire avancer la technique, mais les artistes qui utilisent la technique pour créer… des personnages kitsch. Leurs œuvres, plus ou moins hyperréalistes, alimentent l’industrie des jeux vidéo, de la pub ou du cinéma.

Une centaine de ces artistes et leurs créations, toutes de sexe féminin, sont réunis dans «Digital Beauties», l’impressionnant recueil que le journaliste germano-brésilien Julius Wiedemann, 27 ans, vient de publier chez Taschen. En parcourant ce livre, l’équipe de Largeur.com a eu envie de sélectionner les plus belles pin-ups synthétiques, les moins kitsch, les mieux réalisées.

Nos lauréates sont présentées ci-dessous. En attendant l’élection officielle de Miss Digital.


Kaya, de Alceu M. Baptistão, Brésil

Dans l’ombre de cyberstars comme Lara Croft, le livre de Julius Wiedemann présente des nuées de modèles aux courbes parfaites et aux yeux immenses. On imagine une sorte de rivalité entre ces créatures artificielles, qui ont toutes leur nom et leur histoire.

Lesquelles deviendront les célébrités de demain? J’ai posé la question à l’auteur du recueil. «Je dirais que les vraies stars sont les créateurs, dit Julius Wiedemann. Je pense à des artistes comme Alceu Baptistao, qui a créé le modèle Kaya, ou alors Steven Stahlberg, qui a conçu le personnage Webbie Tookay.»


Webbie Tookay, de Steven Stahlberg, Australie

Webbie Tookay… En septembre 1999, l’agence Elite avait réussi un joli coup en annonçant l’arrivée de ce mannequin synthétique dans son catalogue. Pour la première fois, un personnage virtuel entrait en concurrence avec des êtres en chair et en os, en l’occurence les top models d’Elite. L’idée était alors d’optimiser la présentation des vêtements en faisant défiler sur écran une créature parfaitement docile. Devenue célèbre, Webbie est apparue à la télévision, sur les chaînes ABC et BBC, avant de se faire plus discrète.


Kyoko Date, du studio Konkon de Tatsuya Kosaka, Japon

Steven Stahlberg ne s’était pas contenté de doter Webbie de formes impeccables. Il lui avait aussi donné une «personnalité» propre («elle aime la disco et elle se préoccupe de la faim dans le monde»). La plupart des créateurs procèdent ainsi: ils développent un «portfolio d’informations» avant de se mettre à l’écran. Certains imaginent l’histoire de leur créature, d’autres commencent par lui inventer un nom, des mensurations, une histoire. Cette méthode est censée donner naissance à des êtres «moins artificiels».


Nene, de Cashing Corporation, Japon

Plus que de simples images, les créations deviennent alors de véritables personnages qui peuvent être animés sur des sites Web ou intégrés dans des jeux vidéo.

Certains créateurs ne se gênent pas de mettre en scène leurs fantasmes les moins avouables, quitte à transgresser la morale. Un débat agite d’ailleurs les professionnels à propos des animations mettant en scène des enfants virtuels dans des situations scabreuses. Ces représentations devraient-elles être interdites? J’ai posé la question à Wiedemann. «La responsabilité est entre les mains de chacun de nous, dit-il. Je ne visite pas les sites qui diffusent ces images. Et si les gens font comme moi, ces sites disparaîtront.»


Modèle sans nom, de Daniel D. Van Winkle, USA

Selon Julius Wiedemann, le vrai rôle du Net est évidemment ailleurs. Il permet aux artistes d’échanger leurs expériences, de mettre en commun leurs compétences, de télécharger des habits et des textures de peau pour rendre les personnages encore plus «réalistes». C’est en cela que le réseau contribue aux créations virtuelles.


Marlène, de Daniel Robichaud, Canada

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«Digital Beauties», de Julius Wiedemann, édition Taschen, CHF. 49.50

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Fabriquer une cybercréature:

Comment ça marche?
La création d’un modèle informatique commence par le dessin d’un squelette sous forme de grille définissant tous les polygones formant le personnage. On applique ensuite des textures simulées (peau, habits, etc.) pour remplir les surfaces. La dernière étape consiste à ajouter de la lumière et calculer les ombres.

Statiques ou mobiles?
L’étape la plus lourde consiste à simuler les mouvements. Pour éviter les démarches robotiques ou les balancement de cheveux trop lissés, on utilise des capteurs fixés sur des acteurs ou des objets. Une base de données de coordonnées enregistrées est ensuite utilisée par l’ordinateur pour recréer les mouvements.

Temps réel ou calculation différée?
La puissance de traitement de l’ordinateur limite le nombre de surfaces qui peuvent être traitées à la fois. La création informatique des 150 000 scènes de Final Fantasy nécessite 934 000 journées de calcul pour un processeur de station Silicon Graphics. Certaines animations – comme la marionnette du Bigdil’ – nécessite cependant un affichage en temps réel, c’est-à-dire que les mouvements sont numérisés et appliqués sur la poupée virtuelle en direct. Cela n’est aujourd’hui possible qu’avec des figures relativement simples. La technologie progresse cependant très vite: une console PlayStation 2 peut afficher 66 millions de polygones par seconde.

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Cet article de Largeur.com a été publié le 9 décembre 2001 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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