Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais Tsutsui monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. Ce fils putatif de Max construit dans la nuit un mystérieux bonhomme de neige. D’autre part le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités dans les neiges nocturnes.
Et pendant ce temps-là Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec Frénésie, la directrice de son hôtel. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 19.
Au lit avec une jeune femme noire. La chose continue d’étonner Max. Pas à cause de la rapidité avec laquelle c’est arrivé. Ça fait partie du jeu. Mais à cause de la différence d’âge, la différence de couleur, la différence d’idées.
S’il a bien compris – mais il ne va pas tarder à poser d’autres questions – Frénésie n’a pas la moindre sympathie pour les manifestants qui demain tenteront de saccager Davos. Pourtant elle aussi est surveillée. Pour venir dans la chambre de Max, elle a dû se plaquer contre les murs, éviter les caméras. Et pour sortir de l’hôtel, comment fera-t-elle?
– Je prendrai l’escalier de service pour remonter au troisième étage. Ensuite je traverse par la penderie et ressors dans l’escalier principal jusqu’au premier.
Là, de nouveau, l’escalier de service pour éviter la réception jusqu’au garage et sortie par l’arrière. Ni vue ni connue. Puis à pied par derrière jusqu’à mon chalet. A six heures. Enfin au plus tard à six heures et demie. Je voudrais bien essayer de dormir un peu.
Elle présente à Max son dos, prend sa main et la place sur son sein, comme s’ils étaient un vieux couple qui s’emboîte pour mieux ronfler. Elle remue ses fesses contre le sexe de Max à qui vient l’envie de faire enfin l’amour. Car ils n’ont fait qu’en parler. Echanger leurs vies, accorder leurs différences de point de vue. Tout ça ce sont des préliminaires.
– Max, laisse-moi dormir. D’ailleurs si on ne fait pas ça maintenant, ça ne fait rien, on se donnera un rendez-vous, un autre.
Oui, depuis quatre ans et demie elle n’a pas joué à ça, elle peut remettre la chose à plus tard. Mais il y a dans sa voix comme une pointe d’ironie à l’égard de Max. Quelque chose qui justement le bloque, l’empêche d’accélérer et d’y aller franchement pour la bête à deux dos.
Son désir vient, puis reflue, d’une manière qu’il ne se connaît pas. Ni interdit moral ni pudeur. Mais la gêne est là. Tout à l’heure, il a même enfilé un préservatif pour manifester clairement son intention. Elle s’est moqué de sa couleur vert pâle, assez pour le rétrécir d’un coup.
Cette femme impressionne-t-elle Max? A-t-il peur de se lancer dans une histoire qu’elle prendrait au sérieux? Mais le résultat est sans appel. Voilà deux heures qu’ils sont nus l’un contre l’autre, qu’il s’embrassent, se caressent sans plus.
Et la voilà qui lui dit qu’elle veut dormir. Mettons qu’il soit trop amoureux d’elle. En tout cas, il n’en a pas fait le tour. Quand deux amants ont fait le tour l’un de l’autre, il faut le courage de se séparer.
Si plus rien ne les surprend dans les réactions de l’autre, c’est le moment. Casser. Sinon commencent les habitudes, la répétition du déjà senti, déjà joué, déjà perdu.
Une belle histoire se reconnaît à sa fin. Elle peut être triste, mais n’a pas le droit de faire des fils quand elle refroidit, comme la fondue des Suisses. Dans le cas de Frénésie, il n’en sont qu’aux préliminaires. Le petit feu doit encore prouver qu’il est capable d’embraser le lit.
– A quoi tu penses, Max? Tu ne réussis pas à dormir? Il faut que tu sois en forme pour ton exposé. Tu penses au téléphone du commandant Moritz? Tu le lui as dit, des Tsutsui au Japon, ça remplit les annuaires. Bonne nuit.
Elle lui présente encore une fois son dos et la courbure de ses fesses. Ses épaules miment la respiration du sommeil. Ou peut-être s’est-elle endormie d’un coup, laissant Max à ses questions.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le vingtième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.