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20. Où l’on découvre que Frénésie connaît l’ancienne maîtresse de Max

Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais Tsutsui monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. Ce fils putatif de Max, construit dans la nuit un mystérieux bonhomme de neige D’autre part, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités dans les neiges nocturnes.

Et pendant ce temps-là, Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec la belle Frénésie, directrice de l’hôtel. Lire ici le début du récit.

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Chapitre 20.

Max rumine. C’est-à-dire que ses questions passent d’un estomac à l’autre.

Tsutsui, y en a-t-il des centaines de milliers qui s’appellent ainsi? Max l’appelait l’Allemande, la seule Japonaise avec qui il ait jamais fait l’amour.

Ils s’étaient rencontrés à Francfort, elle militait dans le même groupuscule. Ils disaient le RK pour Revolutionärer Kampf. Il voulaient subvertir l’ordre du monde avec l’aide des émigrés turcs. C’était à un concert des Ton Steine Scherben.

Le gros Joschka (il ne courait pas encore le marathon) avait fait un discours mièvre. Max l’avait traité de réformiste. L’Allemande lui avait lancé un regard de connivence. Plus tard quand les flics avaient envoyé les lacrymogènes, Max continuait de lui prendre les seins. Ils étaient en pleurs pour s’embrasser.

La mémoire exagère peut-être le romantisme de la scène. Surtout pour une histoire qui a très bien fini. Ils avaient rendez-vous chaque soir après les assemblées du mouvement. Elle l’emmenait dans une maison occupée où elle avait un coin à elle. Il y avait là deux pianos à queue que les enfants antiautoritaires venaient massacrer dès l’aube.

Un soir, à brûle-pourpoint, elle lui avait dit:

– Max je suis enceinte de toi et je vais te quitter. Je retourne au Japon.

Max avait compris que c’était très sérieux. Il l’avait accompagnée à l’aéroport. Ils pleuraient malgré l’absence des lacrymogènes. Et pendant vingt-cinq ans, il n’avait plus entendu parler d’elle.

Son Allemande japonaise n’avait plus donné signe de vie jusqu’au jour où il avait couru pour la première fois le Marathon de New York. Il entend encore sa voix à peine vieillie dans les écouteurs. Elle participait justement à ce marathon, mais en fauteuil roulant. Comme il ne l’avait pas vue, il avait pensé à une supercherie. Une voix d’outre-tombe, un signe de l’au-delà.

– Max, tu devrais essayer de dormir. Ou bien alors embrasse-moi dans la nuque. J’aimais bien tout à l’heure. Ou bien va remettre un préservatif et on essaie encore une fois. Je t’ai dit, moi ça fait quatre ans et demi. Pourquoi tu ris?

Il se permet de lui demander si elle-même, précisément, en connaît beaucoup des Tsutsui.

– J’ai vu celui qui t’a apostrophé. A la télé. Il ressemblait à n’importe quel Japonais. Je connaissais une Tsutsui, mais elle est morte. C’était à Londres il y a trois ans. Une triste histoire, une femme en fauteuil roulant.

En disant ça Frénésie ajoute un sourire mélancolique. Le même qui a séduit Max tout à l’heure lors de la réception. Un sourire qui vous fait oublier le monde et vous invite à vous accrocher aux lèvres pour y ajouter le vôtre. Du bout de la langue.

Elle passe ses bras derrière le dos de Max, il se perd dans ses cheveux. Elle est sur lui, puis lui sur elle. Les draps bleus vont en tous sens. D’un coup elle s’immobilise met un doigt sur la bouche comme s’il avait fait du bruit.
Puis elle montre le plafond. Comme il regarde en l’air, elle en profite, c’était sa feinte, pour l’embrasser sous le menton. Puis elle empoigne l’oreiller pour une bataille.

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le vingt-et-unième épisode

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.