Vingt-quatrième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.
Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec la belle Frénésie, directrice de l’hôtel. D’autre part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile.
Ce fils putatif de Max a construit dans la nuit un mystérieux bonhomme de neige. Et pendant ce temps-là, le commandant Moritz, surveille aussi bien les invités que les non-invités dans les neiges nocturnes. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 24.
Peut-on qualifier ce genre de menace? Affirmer que c’est du quatre sur cinq? Quel genre de scénario a-t-on prévu pour la contre-attaque?
Est-ce que là, à trois heures du matin, le commandant Moritz va devoir sortir du lit ses lieutenants, Kaspar, Samuel et Pascal, pour leur demander d’inventer des réponses, d’imaginer ce qu’on pourrait faire contre un Japonais solitaire qui gravit une pente en direction d’une cible stratégique?
A l’heure des satellites, pourquoi ces relais fixes? A quoi riment-ils?
Sur un bloc de papier vert pâle orné du logo de la banque locale, le commandant Moritz prépare sa décision. Seul, selon la méthode qu’il enseigne lui-même aux cours de cadre. Evaluation de l’ennemi, évaluation du potentiel subversif, prise en compte du potentiel de réponse, décision.
La feuille à la main, il fait le tour de ses collaborateurs affairés devant leurs écrans. A Ruth il demande de formuler brièvement pourquoi il ne peut pas compter sur un commando héliporté pour cueillir le Japonais des neiges.
– Chef, la préparation de l’intervention demande au moins, disons, une heure. C’est toi qui as démobilisé hier soir. Une heure au moins. Ensuite moi personnellement, vu le flou, je pense que c’est un moyen extrême qui ne se justifie que si…
Bon ça va, il a compris. Une heure c’est trop long. D’ici là notre leader informel aura eu le temps de se transformer en héros. Que va-t-il entreprendre contre ce relais? En admettant que c’est à lui qu’il en veuille. Comment va-t-il s’y prendre? Ce relais est-il surveillé par une caméra? Qu’on voie un peu à quoi ça ressemble.
Pas de caméra, mais Ruth fait apparaître sur son écran une photo d’archives. Une plate-forme triangulaire plantée d’antennes comme un sapin de Noël, un gâteau d’anniversaire. Chaque bougie est une antenne pour une fonction différente.
Le commandant Moritz voit bien ce qu’on peut tenter contre ce genre de plate-forme. On attache une charge à l’un des trois pieds, on le tranche net et tout s’effondre. Avec cinq kilos de Semtex, il en ferait son affaire.
– Tu m’as demandé, chef, d’évaluer le risque. Mettons que ces antennes ne fonctionnent plus. Pour nos opérations, je veux dire nous, les forces de sécurité, ça n’a pas de conséquences directes. Nous conduisons tout à double. Stand-by actif permanent. Si ça ne passe plus par là, nous passons ailleurs.
Mais les conversations civiles seront toutes coupées. Plus aucun téléphone portable ne fonctionnera dans la zone. Et sans doute pas non plus le réseau câblé. La liaison souterraine qui sort de la vallée sera vite saturée. Plusieurs antennes pour la téléphonie mobile sont disposées tout autour de Davos, mais ensuite, ça converge là. Sur ce relais.
C’est ce qu’on appelle la prévoyance des civils. Les forces de sécurité doivent se comporter comme à la guerre, installer tout à double, ne laisser aucune chance aux terroristes. Les compagnies de télécom, elles, parlent de concurrence et pratiquent le monopole.
La sécurité est une culture, le commandant Moritz le répète chaque fois qu’il est invité pour un exposé. Et, comme toute culture, ce n’est pas un luxe, mais un état d’esprit.
Un chef devrait toujours penser à une chose sous deux aspects: le profit et le risque. Et pas seulement le profit. Chacun peut avoir ses idées sur le monde.
Par exemple le commandant Moritz, Messieurs, le commandant Moritz est en faveur de l’annulation de la dette du Tiers monde et en faveur du contrôle strict des flux d’armements. Mais ça, ce sont des opinions. En matière de sécurité, seuls comptent les faits. Un relais doit toujours avoir un double. Un point c’est tout.
– Chef, si les civils ici n’ont plus de liaisons téléphoniques, on peut craindre le pire. Ils vont vouloir quitter Davos. Le comble ce serait qu’ils redescendent en plaine tous à la fois. Un effet de panique comme lors du typhus à Zermatt.
Les télécoms disent que le remplacement du relais, plus les réglages, prendrait au moins trente-six heures. On n’est pas loin d’une catastrophe.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le vingt-cinquième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.
