L’objet qui lie la main humaine à l’ordinateur est développé dans la campagne vaudoise. Il évolue de plus en plus vite. Visite des laboratoires.
Une souris sans fil est elle encore une souris? Les dernières créations de Logitech fonctionnent par ondes radio. «On devrait peut-être les rebaptiser cobayes puisqu’elles n’ont plus de queue», plaisante Olivier Theytaz, qui développe ici des systèmes optiques.
Cobayes? Les modèles manipulés dans ces laboratoires de Logitech évoquent effectivement à des animaux sacrifiés à la science. Les chercheurs les dissèquent, les transforment, les soumettent à des tests sans fin dans un seul but: optimiser le fonctionnement de ce qui reste le plus récent des outils fabriqués pour la main humaine.
Romanel sur Morges, Moulin du Choc, zone D. C’est là, dans une fade campagne vaudoise, qu’une équipe de chercheurs imagine les instruments qui nous permettront de manipuler les ordinateurs de demain. Deux bâtiments sans charme, des locaux qui n’ont pas beaucoup changé depuis les années 80. Logitech, numéro un mondial de la souris, a fêté ses vingt ans en 2001, alors que le marché de l’informatique traversait une période de crise. L’entreprise vaudoise, elle, a bien tenu le coup.
C’est qu’elle a su s’affranchir des fabricants de PC beiges aux marges limées qui constituaient il y a quelques années encore l’essentiel de sa clientèle. Elle se concentre désormais sur le marché de détail, investissant à fond sur le design, les courbes ovales et les qualités sensorielles de ses produits. Objectif: faire comprendre aux usagers qu’ils peuvent s’offrir une souris plus performante, ou un clavier plus moderne, sans pour cela changer d’ordinateur.
La stratégie semble payante. «Près de 80% de nos affaires relèvent aujourd’hui du marché de détail, contre 60% il y a deux ans, annonce Steve Daverio, responsable marketing pour l’Europe. Nos principaux moteurs de croissance sont désormais la souris sans fil et la vidéo.» Viennent ensuite les manettes de jeux et les périphériques audio.
Pour continuer à croître, Logitech doit renouveler sa gamme et accélérer ses cycles de commercialisation. D’où l’importance d’un département Recherche et Développement qui compte aujourd’hui 224 employés répartis entre Taïwan, la Californie, la Chine, l’Irlande et la Suisse.
C’est dans les anciens locaux de Romanel sur Morges que sont réunies les équipes (au total: 79 personnes) chargées d’inventer les souris et les claviers du futur. Principaux axes de recherche: les interfaces sans fil, l’encodage optique et la basse consommation énergétique. On imagine des troupes de chercheurs excentriques, d’artistes et d’ergonomes en plein délire créatif. Erreur: la plupart des professionnels qui travaillent ici sont des ingénieurs issus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. «Pour échapper à la monoculture, on s’efforce d’engager des gens qui viennent d’autres horizons – de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich par exemple.»
Et les chantiers? «Nous lançons une centaine de nouveaux projets chaque année, explique Aldo Bussien, vice-président en charge de la recherche. La période de gestation peut aller de trois à vingt-quatre mois, ça dépend de l’ampleur du projet. Mais tout va de plus en plus vite. Notre temps de commercialisation a été réduit de moitié en deux ans.»
Ces projets, qui portent des noms de comics américains («ant», «grenade», «bubble», «wanda»), sont développés selon un processus prédéfini, une sorte de méthode de folie soigneusement conçue. C’est le secret de fabrication de Logitech. Les employés l’appellent simplement «le Processus». Ce schéma aux couleurs pastel, installé dans tous les bureaux, est composé de flèches représentant les interactions et les différents stades de contrôle («les souris doivent pouvoir tomber six fois sur un sol dur, d’une hauteur de 80 centimètres, sans se casser», précise-t-on).
Les appareils sans fil, en particulier, doivent répondre à des normes de sécurité. C’est ici qu’on teste leurs émetteurs radio, dans un gigantesque caisson d’isolation appelé «le Concorde». Les signaux des claviers sans fil sont réglés à la même fréquence que certains jouets télécommandés (27 MHz). Pour éviter que des hackers ne les interceptent, et décodent les mots de passe des usagers, une fonction d’encryption a été introduite, validée par les ingénieurs voisins de chez Kudelski.
C’est à ce prix que Logitech développe des périphériques parfaitement mobiles. Et les modèles des années à venir, quelles fonctionnalités supplémentaires offriront-ils? Impossible de le savoir, les chercheurs restent muets. Tout au plus peut-on imaginer des souris et des claviers encore moins gourmands en énergie, ne nécessitant pas des batteries neuves tous les huit ou douze mois. Et surtout, Logitech veut réduire ses coûts, produire des appareils de moins en moins chers.
Ce qui paraît sûr, c’est que les innovations ne proviendront pas du design: l’entreprise sous-traite encore cet aspect central de son business à des partenaires extérieurs. Quant aux logiciels et aux systèmes video, ils continueront à être développés dans les laboratoires que Logitech a ouverts à Fremont, en Californie.
Dans le secteur des produits sans fil, l’entreprise a déjà vendu 5 millions de claviers et 12 millions de souris. C’est avec à des produits comme ceux-ci qu’elle compte garder son avance sur son principal concurrent, Microsoft. Le marché est loin d’être saturé: seulement 3% des souris actuellement installées disposent d’un système optique et d’une transmission sans fil. Autrement dit, «y’a de la marge », comme disent les Vaudois.
