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Milosevic, une habileté démoniaque face aux juges

Le procès qui a commencé mardi ne parviendra sans doute pas à entamer les certitudes de Milosevic. Mais il tombe à pic pour faire avancer la justice.

La carrière de Slobodan Milosevic apparaît comme celle d’un pantin déséquilibré, en raison même de l’idéologie boiteuse sur laquelle il pensait asseoir son pouvoir: le national-communisme. Cette idéologie, pas plus que le national-socialisme dont elle est sœur, ne peut remporter des succès autres que provisoires, mais hélas sanglants.

Parvenu au pouvoir dans les années 1980 sur les ruines du titisme, Milosevic a tenté de jouer le national-communisme à une époque où ce dernier était encore florissant dans des pays aussi divers que l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, l’Albanie ou la Chine. C’est dire qu’il ne se sentait pas seul du tout. Ni sur la scène internationale où il était bien entouré. Ni en Serbie même où, à la veille de l’écroulement du monde communiste, il parvenait le 29 juin 1989 à réunir plus d’un million de personnes au Kosovo pour commémorer les 600 ans la bataille de Kosovo Polje.

Or ce combat mythique pour le nationalisme serbe porte en lui sa propre contradiction puisqu’il marque la défaite de la Serbie face aux Ottomans et la perte subséquente de son autonomie.

Quatre mois après cette manifestation, le mur de Berlin s’effondrait. A Noël de la même année, Ceausescu, porte-drapeau du national-communisme, était exécuté après un procès aussi sommaire que dérisoire.

Selon la logique, la raison ou le très marxien sens de l’histoire, Milosevic aurait dû s’effondrer lui aussi. Il se sauva en faisant la guerre. Contre la Slovénie. Puis contre la Croatie. Ensuite contre la Bosnie-Herzégovine. Et enfin contre le Kosovo.

Je ne vais pas refaire ici l’histoire de ces guerres et de leur cortège d’abominations. Ce qui ressort le plus du côté du leader yougoslave, c’est qu’à chaque fois son projet grand-serbe prit des coups, à chaque fois son espace politique se restreignit. Mais, grâce à une habileté proprement démoniaque, à chaque coup sa popularité résista et une majorité de ses concitoyens le suivit. Dans le tourbillon de la défaite. Sous les bombes américaines. Comme si le nationalisme serbe voulait encore une fois refaire le coup de 1389, transformer une défaite pitoyable en victoire mythique.

C’est probablement dans ce complexe de Kosovo Polje que Milosevic puise aujourd’hui la force qui lui permet de repousser ses juges avec bravade, morgue et insolence. Il faut être sûr de son bon droit et de la justesse de sa cause pour affirmer ainsi sa singularité face à l’histoire et au tribunal des peuples.

Milosevic ne doute de rien, pas plus que son entourage, ses proches et ses partisans. Et je ne pense pas que le procès qui a commencé mardi parviendra à entamer ces certitudes que seul le cours nouveau de l’histoire serbe pourra remettre en question.

Le procès de La Haye tombe par contre au bon moment pour faire avancer le droit international et, par conséquent, la justice. Parce qu’il est exemplaire et que cet exemple fera malgré tout réfléchir les aspirants despotes un peu partout dans le monde. Pour eux, il n’est pas indifférent de savoir qu’un Milosevic finira sa vie à l’ombre.

On sait que cette forme de justice est contestée par les grandes puissances du moment, Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, etc. Ces pays, très chatouilleux en matière de souveraineté nationale, ont tous de bonnes raisons de craindre qu’un jour ou l’autre des poursuites soient intentées contre certains de leurs politiciens ou de leurs soldats. Pour le moment, ils cherchent à freiner des quatre fers une évolution juridique qui, pourtant, n’a cessé de progresser au cours du XXe siècle.

Pinochet n’est pas le seul à avoir eu peur. L’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, dénoncé pour son action au Vietnam et au Chili, regarde désormais lui aussi où il met les pieds. Ariel Sharon aussi, qui doit attendre avec appréhension la décision belge annoncée pour le 6 mars prochain de le poursuivre ou non pour les crimes commis en 1982 envers les réfugiés palestiniens parqués dans des camps libanais.