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La démocratie barbe à papa

Retour sur un événement stupéfiant advenu un dimanche 7 mai et qui fait que plus rien ne sera comme avant.

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C’était un dimanche 7 mai. L’heure d’un événement stupéfiant. Du basculement d’un monde, d’un renversement cul par-dessus tête, d’une destruction massive de clichés et d’a priori. De quoi faire taire les sceptiques, rendre gorge aux je-sais-tout, clouer le bec des donneurs de leçons aux blanches mains. C’était impossible, et c’est arrivé. C’était un dimanche 7 mai, à Glaris.

L’œil nu a suffi. Tant l’évidence était là, dans une ambiance, a rapporté l’envoyée spéciale du Temps, «d’amandes grillées et de barbe à papa». Donc la Landsgemeinde annuelle de Glaris a balayé, à deux contre un, une proposition de «Burkaverbot», d’interdiction de la burqa, lancée évidemment par l’UDC, qui d’autre.

La Landsgemeinde! Oui, oui, ce machin primitif, carrément moyenâgeux — au sens propre puisque la pratique date de 1387 –, cette caricature de démocratie directe, ce folklore de Waldstätten naturellement obtus, qui fait au mieux sourire de condescendance les esprits éclairés et dodeliner les têtes goguenardes des progressistes professionnels. On notera que le Tessin, canton supposé plus ouvert, moins viscéralement réactionnaire et replié sur son petit lui-même, a déjà validé à 65% une même interdiction de burqa.

Qu’en conclure? Des petits malins pourront faire remarquer qu’il est quand même difficile d’imaginer quelque chose de plus rétrograde, de plus conservateur, de plus primitif qu’une burqa. Que l’anomalie ne se situe donc pas dans le fait qu’un canton conservateur, à travers un mode de scrutin primitif, s’accommode de cette coutume poussiéreuse. Mais plutôt dans le fait que cette même coutume poussiéreuse soit défendue, au nom d’une diversité culturelle qui a bon dos, à défaut d’avoir beau visage, par une gauche mondialiste ordinairement anticléricale mais à la recherche désespérée d’un nouveau prolétariat, fut-il masqué et bigot.

Plus concrètement, on peut imaginer que cette islamophilie glaronaise et soudaine doit beaucoup à une des spécificités majeures de la Landsgemeinde: l’abolition du secret de l’isoloir. Sur la place publique, aux yeux de tous, il s’agit d’assumer son vote. Il est bien sûr plus facile et plus confortable d’apparaître au grand jour dans la peau d’une belle personne, ouverte et généreuse, que dans celle d’un grincheux replié, fermé, craintif et, pour tout dire, xénophobe. Surtout avec une barbe à papa dans l’autre main.

Cela pourrait expliquer pourquoi cette satanée Landsgemeinde de Glaris a souvent, à travers l’histoire, devancé les amis du progrès sur leur propre terrain, comme Le Temps a eu la bonne idée de le rappeler. Qui pour la première fois en Europe, en 1846, a donc adopté une loi sur la durée maximale du travail, l’interdiction du travail de nuit et du travail des enfants? Qui a abaissé à 16 ans, en 2007, la majorité civique? Imposé une fusion de 25 communes? Qui, sinon la Landsgemeinde de Glaris?

Par hypothèse donc, une fois par année, les citoyens de ce discret canton aimeraient se donner le beau rôle, quitte à ne pas tout à fait voter selon leur intime conviction, comme le résume une électrice qui s’est prononcée, elle, en faveur de l’interdiction de la burqa: «Sous le regard des autres, les citoyens n’osent pas dire le fond de leur pensée.» Une hypothèse corroborée par le fait que lors de la votation nationale de 2009, Glaronaises et Glaronais, dans le confort de l’isoloir, se sont prononcés à 69% contre les minarets.

C’est aussi ce que croit Ronald Hämmerli, l’UDC à l’origine de l’initiative cantonale et qui parie sur un renversement de tendance lorsqu’il s’agira de se prononcer sur le même sujet au niveau national. Lui se dit «convaincu que les citoyens auront le courage d’accepter l’interdiction de la burqa».

C’est encore un mérite de la Landsgemeinde que d’obliger un parti comme l’UDC à révéler quel genre de courage il valorise: celui de penser tout bas ce qu’on n’a pas les tripes de dire tout haut.